S’oppose au beau succès de l’espoir qui vous flatte ?
Et depuis quand, Seigneur, la soif du premier rang
Craint-elle de répandre un peu de mauvais sang ?
Avez-vous oublié cette grande maxime,
Que la guerre civile est le règne du crime ;
Et qu’aux lieux où le crime a plein droit de régner,
L’innocence timide est seule à dédaigner ?
L’honneur et la vertu sont des noms ridicules :
Marius ni Carbon n’eurent point de scrupules ;
Jamais Sylla, jamais…
N’ont jamais épargné le sang de leurs vaincus :
Tour à tour la victoire, autour d’eux en furie,
A poussé leur courroux jusqu’à la barbarie ;
Tour à tour le carnage et les proscriptions
Ont sacrifié Rome à leurs dissensions ;
Mais leurs sanglants discords qui nous donnent des maîtres
Ont fait des meurtriers, et n’ont point fait de traîtres :
Leurs plus vastes fureurs jamais n’ont consenti
Qu’aucun versât le sang de son propre parti ;
Et dans l’un ni dans l’autre aucun n’a pris l’audace
D’assassiner son chef pour monter en sa place.
Vous y renoncez donc, et n’êtes plus jaloux
De suivre les drapeaux d’un chef moindre que vous ?
Ah ! s’il faut obéir, ne faisons plus la guerre :
Prenons le même joug qu’a pris toute la terre.
Pourquoi tant de périls ? pourquoi tant de combats ?
Si nous voulons servir, Sylla nous tend les bras[1].
C’est mal vivre en Romain, que prendre loi d’un homme ;
Mais tyran pour tyran, il vaut mieux vivre à Rome.
- ↑ Voyez Plutarque, Vie de Sertorius, chapitre xxv.