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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/382

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SERTORIUS.

Dont en secret dès lors mon âme fut saisie
75Grossit de jour en jour sous une passion
Qui tyrannise encore plus que l’ambition :
J’adore Viriate ; et cette grande reine,
Des Lusitaniens l’illustre souveraine,
Pourroit par son hymen me rendre sur les siens
80Ce pouvoir absolu qu’il m’ôte sur les miens.
Mais elle-même, hélas ! de ce grand nom charmée,
S’attache au bruit heureux que fait sa renommée,
Cependant qu’insensible à ce qu’elle a d’appas
Il me dérobe un cœur qu’il ne demande pas.
85De son astre opposé telle est la violence,
Qu’il me vole partout même sans qu’il y pense,
Et que toutes les fois qu’il m’enlève mon bien,
Son nom fait tout pour lui sans qu’il en sache rien.
Je sais qu’il peut aimer et nous cacher sa flamme,
90Mais je veux sur ce point lui découvrir mon âme ;
Et s’il me peut céder ce trône où je prétends,
J’immolerai ma haine à mes désirs contents ;
Et je n’envierai plus le rang dont il s’empare,
S’il m’en assure autant chez ce peuple barbare,
95Qui formé par nos soins, instruit de notre main,
Sous notre discipline est devenu romain.

AUFIDE.

Lorsqu’on fait des projets d’une telle importance,
Les intérêts d’amour entrent-ils en balance ?
Et si ces intérêts vous sont enfin si doux,
100Viriate, lui mort, n’est-elle pas à vous ?

PERPENNA.

Oui ; mais de cette mort la suite m’embarrasse.
Aurai-je sa fortune aussi bien que sa place ?
Ceux dont il a gagné la croyance et l’appui
Prendront-ils même joie à m’obéir qu’à lui ?
105Et pour venger sa trame indignement coupée,