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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/394

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SERTORIUS.
Thamire

Madame, en ce Héros tout est illustre et grand ;395
Mais à parler sans fard, votre amour me surprend.
Il est assez nouveau qu’un homme de son âge
Ait des charmes si forts pour un jeune courage,
Et que d’un front ridé les replis jaunissants
Trouvent l’heureux secret de captiver les sens.400

Viriate

Ce ne sont pas les sens que mon amour consulte :
Il hait des passions l’impétueux tumulte ;
Et son feu que j’attache aux soins de ma grandeur,
Dédaigne tout mélange avec leur folle ardeur.
J’aime en Sertorius ce grand art de la guerre405
Qui soutient un banni contre toute la terre ;
J’aime en lui ces cheveux tous couverts de lauriers,
Ce front qui fait trembler les plus braves guerriers,
Ce bras qui semble avoir la victoire en partage.
L’amour de la vertu n’a jamais d’yeux pour l’âge :410
Le mérite a toujours des charmes éclatants ;
Et quiconque peut tout est aimable en tout temps.

Thamire

Mais, Madame, nos rois, dont l’amour vous irrite,
N’ont-ils tous ni vertu, ni pouvoir, ni mérite ?
Et dans votre parti se peut-il qu’aucun d’eux415
N’ait signalé son nom par des exploits fameux ?
Celui des Turdétans, celui des Celtibères[1],
Soutiendraient-ils si mal le sceptre de vos pères ?

Viriate

Contre des Rois comme eux j’aimerais leur soutien ;
Mais contre des Romains tout leur pouvoir n’est rien.420
Rome seule aujourd’hui peut résister à Rome :
Il faut pour la braver qu’elle nous prête un homme,

  1. Les Turdétans sont un peuple de la Bétique ; les Celtibères, un peuple de l’Espagne tarraconaise.