Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/434

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Et ne nous brouillons point avec nos bons destins.
Rome nous donnera sans eux assez de peine,
Avant que de souscrire à l’hymen d’une reine ;
Et nous n’en fléchirons jamais la dureté,
À moins qu’elle nous doive et gloire et liberté.

Viriate
Je vous avouerai plus, Seigneur : loin d’y souscrire,
Elle en prendra pour vous une haine où j’aspire,
Un courroux implacable, un orgueil endurci ;
Et c’est par où je veux vous arrêter ici.
Qu’ai-je à faire dans Rome ? Et pourquoi, je vous prie…

Sertorius
Mais nos Romains, Madame, aiment tous leur patrie ;
Et de tous leurs travaux l’unique et doux espoir,
C’est de vaincre bientôt assez pour la revoir.

Viriate
Pour les enchaîner tous sur les rives du Tage,
Nous n’avons qu’à laisser Rome dans l’esclavage :
Ils aimeront à vivre et sous vous et sous moi,
Tant qu’ils n’auront qu’un choix d’un tyran ou d’un roi.

Sertorius
Ils ont pour l’un et l’autre une pareille haine,
Et n’obéiront point au mari d’une reine.

Viriate
Qu’ils aillent donc chercher des climats à leur choix,
Où le gouvernement n’ait ni tyrans ni rois.
Nos Espagnols, formés à votre art militaire,
Achèveront sans eux ce qui nous reste à faire.
La perte de Sylla n’est pas ce que je veux ;
Rome attire encor moins la fierté de mes vœux :
L’hymen où je prétends ne peut trouver d’amorces
Au milieu d’une ville où règnent les divorces,
Et du haut de mon trône on ne voit point d’attraits
Où l’on n’est roi qu’un an, pour n’être rien après.