Aller au contenu

Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/502

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
488
SOPHONISBE

M’exempter par ma mort de pleurer votre chute !

SYPHAX.

À des charmes si forts joindre celui des pleurs !
370Soulever contre moi ma gloire et vos douleurs !
C’est trop, c’est trop, Madame ; il faut vous satisfaire :
Le plus grand des malheurs seroit de vous déplaire,
Et tous mes sentiments veulent bien se trahir
À la douceur de vaincre ou de vous obéir.
375La paix eût sur ma tête assuré ma couronne ;
Il faut la refuser, Sophonisbe l’ordonne :
Il faut servir Carthage, et hasarder l’État.
Mais que deviendrez-vous, si je meurs au combat ?
Qui sera votre appui, si le sort des batailles
380Vous rend un corps sans vie au pied de nos murailles ?

SOPHONISBE.

Je vous répondrois bien qu’après votre trépas
Ce que je deviendrai ne vous regarde pas ;
Mais j’aime mieux, Seigneur, pour vous tirer de peine,
Vous dire que je sais vivre et mourir en reine.

SYPHAX.

385N’en parlons plus, Madame. Adieu : pensez à moi ;
Et je saurai, pour vous, vaincre ou mourir en roi[1].

FIN DU PREMIER ACTE.
  1. Toute cette scène entre Sophonisbe et Syphax est le développement de ce passage de Tite Live (livre XXX, chapitre vii) : « Syphax faisait les plus actives dispositions pour recommencer la guerre. Sa femme l’avait gagné, non plus seulement comme autrefois, par des caresses, armes déjà si puissantes sur le cœur d’un époux qui l’aimait, mais par les prières et la compassion, le conjurant, les yeux pleins de larmes, de ne pas trahir son père et sa patrie. » Syphacem… summa que… reparantem bellum : quum uxor, non jam, ut ante, blanditiis, satis potentibus ad animum amantis, sed precibus et misericordia valuisset, plena lacrimarum obtestans ne patrem suum patriamque proderet,