M’exempter par ma mort de pleurer votre chute !
À des charmes si forts joindre celui des pleurs !
Soulever contre moi ma gloire et vos douleurs !
C’est trop, c’est trop, Madame ; il faut vous satisfaire :
Le plus grand des malheurs seroit de vous déplaire,
Et tous mes sentiments veulent bien se trahir
À la douceur de vaincre ou de vous obéir.
La paix eût sur ma tête assuré ma couronne ;
Il faut la refuser, Sophonisbe l’ordonne :
Il faut servir Carthage, et hasarder l’État.
Mais que deviendrez-vous, si je meurs au combat ?
Qui sera votre appui, si le sort des batailles
Vous rend un corps sans vie au pied de nos murailles ?
Je vous répondrois bien qu’après votre trépas
Ce que je deviendrai ne vous regarde pas ;
Mais j’aime mieux, Seigneur, pour vous tirer de peine,
Vous dire que je sais vivre et mourir en reine.
Et je saurai, pour vous, vaincre ou mourir en roi[1].
- ↑ Toute cette scène entre Sophonisbe et Syphax est le développement de ce passage de Tite Live (livre XXX, chapitre vii) : « Syphax faisait les plus actives dispositions pour recommencer la guerre. Sa femme l’avait gagné, non plus seulement comme autrefois, par des caresses, armes déjà si puissantes sur le cœur d’un époux qui l’aimait, mais par les prières et la compassion, le conjurant, les yeux pleins de larmes, de ne pas trahir son père et sa patrie. » Syphacem… summa que… reparantem bellum : quum uxor, non jam, ut ante, blanditiis, satis potentibus ad animum amantis, sed precibus et misericordia valuisset, plena lacrimarum obtestans ne patrem suum patriamque proderet,