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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/602

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OTHON.

Pour m’ouvrir le tombeau, hâte votre trépas,
Et m’avance un destin où je ne consens pas ?

OTHON.

305Quand il faut m’arracher tout cet amour de l’âme,
Puis-je que dans mon sang en éteindre la flamme ?
Puis-je sans le trépas…

PLAUTINE.

Puis-je sans le trépas… Et vous ai-je ordonné
D’éteindre tout l’amour que je vous ai donné ?
Si l’injuste rigueur de notre destinée
310Ne permet plus l’espoir d’un heureux hyménée,
Il est un autre amour dont les vœux innocents
S’élèvent au-dessus du commerce des sens[1].
Plus la flamme en est pure et plus elle est durable ;
Il rend de son objet le cœur inséparable ;
315Il a de vrais plaisirs dont ce cœur[2] est charmé,
Et n’aspire qu’au bien d’aimer et d’être aimé.

OTHON.

Qu’un tel épurement demande un grand courage !
Qu’il est même aux plus grands d’un difficile usage !
Madame, permettez que je dise à mon tour
320Que tout ce que l’honneur peut souffrir à l’amour,
Un amant le souhaite, il en veut l’espérance,
Et se croit mal aimé s’il n’en a l’assurance.

PLAUTINE.

Aimez-moi toutefois sans l’attendre de moi,
Et ne m’enviez point l’honneur que j’en reçoi.
325Quelle gloire à Plautine, ô ciel, de pouvoir dire
Que le choix de son cœur fut digne de l’empire ;
Qu’un héros destiné pour maître à l’univers
Voulut borner ses vœux à vivre dans ses fers ;
Et qu’à moins que d’un ordre absolu d’elle-même

  1. Voyez ci-dessus, p. 568.
  2. Voltaire (1764) a substitué « son cœur » à « ce cœur. »