Bien que d’entre ses bras Néron l’eût enlevée,
L’image dans son cœur s’en étoit conservée ;
La mort même, la mort n’avait pu l’en chasser :
À vous seule étoit dû l’honneur de l’effacer.
Vous seule d’un coup d’œil emportâtes la gloire
D’en faire évanouir la plus douce mémoire,
Et d’avoir su réduire à de[1] nouveaux souhaits
Ce cœur impénétrable aux plus charmants objets ;
Et vous vous étonnez que pour vous je soupire !
Je m’étonne de voir qu’il ne vous souvient plus
Que l’heureux Martian fut l’esclave Icélus[2],
Qu’il a changé de nom sans changer de visage.
C’est ce crime du sort qui m’enfle le courage :
Lorsqu’en dépit de lui je suis ce que je suis,
On voit ce que je vaux, voyant ce que je puis.
Un pur hasard sans nous règle notre naissance ;
Mais comme le mérite est en notre puissance,
La honte d’un destin qu’on vit mal assorti[3]
Fait d’autant plus d’honneur quand on en est sorti.
Quelque tache en mon sang que laissent mes ancêtres,
Depuis que nos Romains[4] ont accepté des maîtres,
Ces maîtres ont toujours fait choix de mes pareils
Pour les premiers emplois et les secrets conseils :
Ils ont mis en nos mains la fortune publique ;
Ils ont soumis la terre à notre politique ;
- ↑ L’édition de 1682 a seule des, pour de. Voyez plus loin le vers 1189 et la note qui s’y rapporte.
- ↑ Voyez ci-dessus, p. 574, note 2.
- ↑ Var. La honte d’un destin qu’on voit mal assorti. (1666)
- ↑ L’édition de 1692 a corrigé nos Romains en les Romains ; et un peu plus bas, au vers 509, enlève en élève ; Voltaire a adopté ce dernier changement.