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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/627

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ACTE III, SCENE II.

Qu’elle fût en état de se passer de maître,
855Je ne me crusse digne, en cet heureux moment,
De commencer par moi son rétablissement[1] ;
Mais cet empire immense est trop vaste pour elle :
À moins que d’une tête un si grand corps chancelle ;
Et pour le nom des rois son invincible horreur
860S’est d’ailleurs si bien faite aux lois d’un empereur,
Qu’elle ne peut souffrir, après cette habitude,
Ni pleine liberté, ni pleine servitude[2].
Elle veut donc un maître, et Néron condamné
Fait voir ce qu’elle veut en un front couronné.
865Vindex, Rufus[3], ni moi, n’avons causé sa perte ;
Ses crimes seuls l’ont faite[4], et le ciel l’a soufferte,
Pour marque aux souverains qu’ils doivent par l’effet
Répondre dignement au grand choix qu’il en fait.
Jusques à ce grand coup, un honteux esclavage
870D’une seule maison nous faisoit l’héritage.
Rome n’en a repris, au lieu de liberté,
Qu’un droit de mettre ailleurs la souveraineté ;
Et laisser après moi dans le trône un grand homme,
C’est tout ce qu’aujourd’hui je puis faire pour Rome[5].
875Prendre un si noble soin, c’est en prendre de vous :

  1. Si immensum imperii corpus stare ac librari sine rectore posset, dignus eram a quo respublica inciperet. (Tacite, Histoires, livre I, chapitre xvi, Discours de Galba à Pison.)
  2. Imperaturus es hominibus qui nec totam servitutem pati possunt, necn totam libertatem. (Ibidem.)
  3. Julius Vindex s’était révolté contre Néron dans les Gaules ; Virginius Rufus, qui commandait en Germanie, avait battu Vindex, mais ses soldats lui avaient offert l’empire à lui-même.
  4. Sit ante oculos Nero, quem longa Cæsarum serie tumentem, non Vindex cum inermi provincia, aut ego cum una legione, sed sua immanitas, sua luxuria cervicibus publicis depulere. (Tacite, Histoires, livre I, chapitre xvi.)
  5. Nunc eo necessitatis jampridem ventum est, ut nec mea senectus conferre plus populo romano possit quam bonum successorem, nec tua plus juventa quam bonum principem. Sub Tiberio et Caio et Claudio, unius familia quasi hereditas fuimus : loco libertatis erit, quod cligi cœpimus. (Ibidem.)