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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/646

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OTHON.

1305Et qui vient de donner Othon au diadème,
Pour régner à son tour peut se donner soi-même.

PLAUTINE.

Si pour le couronner j’ai fait un noble effort,
Dois-je en faire un honteux pour jouir de sa mort ?
Je me privois de lui sans me vendre à personne,
1310Et vous voulez, Seigneur, que son trépas me donne,
Que mon cœur, entraîné par la splendeur du rang,
Vole après une main fumante de son sang ;
Et que de ses malheurs triomphante et ravie,
Je sois l’infâme prix d’avoir tranché sa vie !
1315Non, Seigneur : nous aurons même sort aujourd’hui ;
Vous me verrez régner ou périr avec lui :
Ce n’est qu’à l’un des deux que tout ce cœur aspire.

VINIUS.

Que tu vois mal encor ce que c’est que l’empire !
Si deux jours seulement tu pouvois l’essayer,
1320Tu ne croirois jamais le pouvoir trop payer ;
Et tu verrois périr mille amants avec joie,
S’il falloit tout leur sang pour t’y faire une voie.
Aime Othon, si tu peux t’en faire un sûr appui ;
Mais s’il en est besoin, aime-toi plus que lui,
1325Et sans t’inquiéter où fondra la tempête,
Laisse aux Dieux à leur choix écraser une tête :
Prends le sceptre aux dépens de qui succombera,
Et règne sans scrupule avec qui régnera.

PLAUTINE.

Que votre politique a d’étranges maximes !
1330Mon amour, s’il l’osoit, y trouveroit des crimes.
Je sais aimer, Seigneur, je sais garder ma foi,
Je sais pour un amant faire ce que je doi,
Je sais à son bonheur m’offrir en sacrifice,
Et je saurai mourir si je vois qu’il périsse ;
1335Mais je ne sais point l’art de forcer ma douleur