Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/75

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Cet offre[1], ou, si tu veux, ce don du diadème
N’est, à le bien nommer, qu’un faible stratagème.
965Faire un roi d’un enfant pour être son tuteur,
C’est quitter pour ce nom celui d’usurpateur ;
C’est choisir pour régner un favorable titre ;
C’est du sceptre et de lui te faire seul arbitre,
Et mettre sur le trône un fantôme pour roi
970Jusques au premier fils qui te naîtra de moi,
Jusqu’à ce qu’on nous craigne, et que le temps arrive
De remettre en ses mains la puissance effective.
Qui veut bien l’immoler à son affection[2]
L’immoleroit sans peine à son ambition.
975On se lasse bientôt de l’amour d’une femme ;
Mais la soif de régner règne toujours sur l’âme ;
Et comme la grandeur a d’éternels appas,
L’Italie est sujette à de soudains trépas.
Il est des moyens sourds pour lever un obstacle,
980Et faire un nouveau roi sans bruit et sans miracle ;
Quitte pour te forcer à deux ou trois soupirs,
Et peindre alors ton front d’un peu de déplaisirs.
La porte à ma vengeance en seroit moins ouverte :
Je perdrois avec lui tout le fruit de sa perte.
985Puisqu’il faut qu’il périsse, il vaut mieux tôt que tard ;
Que sa mort soit un crime, et non pas un hasard ;
Que cette ombre innocente à toute heure m’anime,
Me demande à toute heure une grande victime ;
Que ce jeune monarque, immolé de ta main,
990Te rende abominable à tout le genre humain ;
Qu’il t’excite partout des haines immortelles ;
Que de tous tes sujets il fasse des rebelles.

  1. Toutes les éditions données du vivant de Corneille portent : « Cet offre, » au masculin. Thomas Corneille, dans l’édition de 1692, et Voltaire donnent le féminin. Nous avons vu plus haut, aux vers 369,589 et 590, et nous retrouverons plus loin, au vers 1555, ce même mot au féminin.
  2. Var. Qui le veut immoler à son affection. (1653-56)