Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/77

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GRIMOALD.

Va, fantôme insolent, retrouver qui t’envoie,
Et ne te mêle point d’attenter à ma joie[1].
Il est encore ici des supplices pour toi,
Si tu viens y montrer la vaine ombre d’un roi.
Pertharite n’est plus.

PERTHARITE.

1015Pertharite n’est plus.Pertharite respire,
Il te parle, il te voit régner dans son empire.
Que ton ambition ne s’effarouche pas
Jusqu’à me supposer toi-même un faux trépas[2] :

  1. Var. Et ne te mêle pas d’attenter à ma joie. (1653-56)
  2. Var. Et ne t’obstine pas à croire mon trépas.
    Je ne viens point ici, jaloux de ma couronne,
    Soulever mes sujets, me prendre à ta personne,
    Me ressaisir d’un sceptre acquis à ta valeur,
    Et me venger sur toi de mon trop de malheur.
    J’ai cherché vainement dans toutes les provinces
    L’appui des potentats et la pitié des princes,
    Et dans toutes leurs cours je me suis vu surpris
    De n’avoir rencontré qu’un indigne mépris.
    Enfin, las de traîner partout mon impuissance,
    Sans trouver que foiblesse ou que méconnoissance,
    Alarmé d’un amour qu’un faux bruit t’a permis,
    Je rentre en mes États, que le ciel t’a soumis ;
    Mais j’y rencontre encor des malheurs plus étranges :
    Je n’y trouve pour toi qu’estime et que louanges,
    Et d’une voix commune on y bénit un roi
    Qui fait voir sous mon dais plus de vertu que moi.
    Oui, d’un commun accord ces courages infâmes
    Me laissent détrôner jusqu’au fond de leurs âmes,
    S’imputent à bonheur de vivre sous tes lois,
    Et dédaignent pour toi tout le sang de leurs rois.
    Je cède à leurs desirs, garde mon diadème,
    Comme digne rançon de cette autre moi-même ;
    Laisse-moi racheter Rodelinde à ce prix,
    Et je vivrai content malgré tant de mépris.
    Tu sais qu’elle n’est pas du droit de ta conquête ;
    Qu’il faut, pour être à toi, qu’il m’en coûte la tête :
    Garde donc de mêler la fureur des tyrans
    Aux brillantes vertus des plus grands conquérants ;
    Fais voir que ce grand bruit n’est point un artifice,
    Que ce n’est point à faux qu’on vante ta justice,
    Et donne-moi sujet de ne plus m’indigner
    Que mon peuple en ma place aime à te voir régner.
    [GRIM. L’artifice grossier n’a rien qui m’épouvante.] (1653-56)