Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/221

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DOMITIAN.

Ah ! si vous n’acceptez sa main qu’avec contrainte,
Venez, venez, Madame, autoriser ma plainte.
205L’Empereur m’aime assez pour quitter vos liens,
Quand je lui porterai vos vœux avec les miens.
Dites que vous m’aimez, et que tout son empire…

DOMITIE.

C’est ce qu’à dire vrai j’aurai peine à lui dire,
Seigneur ; et le respect qui n’y peut consentir…

DOMITIAN.

210Non, votre ambition ne se peut démentir.
Ne la déguisez plus, montrez-la toute entière,
Cette âme que le trône a su rendre si fière,
Cette âme dont j’ai fait les plaisirs les plus doux,
Cette âme…

DOMITIE.

Cette âme…Voyez-la cette âme toute à vous,
215Voyez-y tout ce feu que vous y fîtes naître ;
Et soyez satisfait, si vous le pouvez être.
Je ne veux point, Seigneur, vous le dissimuler,
Mon cœur va tout à vous quand je le laisse aller ;
Mais sans dissimuler j’ose aussi vous le dire,
220Ce n’est pas mon dessein qu’il m’en coûte l’empire ;
Et je n’ai point une âme à se laisser charmer
Du ridicule honneur de savoir bien aimer.
La passion du trône est seule toujours belle,
Seule à qui l’âme doive une ardeur immortelle.
225J’ignorois de l’amour quel est le doux poison,
Quand elle s’empara de toute ma raison.
Comme elle est la première, elle est la dominante.
Non qu’à trahir l’amour je ne me violente ;
Mais il est juste enfin que des soupirs secrets
230Me punissent d’aimer contre mes intérêts.
Daignez donc voir, Seigneur, quelle route il faut prendre,