Elle n’avoit que l’ombre, et qu’une autre[1] eût le fruit !
Qu’elle seroit confuse ! et que j’aurois de joie !
Mais il faut que le ciel lui-même la renvoie,
Cette belle rivale ; et tout notre discours
Ne la sauroit ici rendre dans quatre jours.
N’importe : en l’attendant préparons sa victoire ;
Dans l’esprit d’un rival ranimons sa mémoire ;
Retraçons à ses yeux l’image du passé,
Et profitons par là du cœur embarrassé[2].
N’y perdez point de temps : allez, sans plus rien taire,
Tâter jusqu’en ce cœur les tendresses de frère.
Si vous ne l’emportez, il pourra s’ébranler ;
S’il ne rompt cet hymen, il pourra reculer :
Je me trompe, ou son âme y penche d’elle-même.
S’il s’émeut, redoublez ; dites que l’on vous aime ;
Dites qu’un pur respect contraint avec ennui
Une âme toute à vous à se donner à lui.
S’il se trouble, achevez : parlez de Bérénice,
De tant d’amour qu’il traite avec tant d’injustice.
Pour lui donner le temps de venir au secours,
Nous aurons quatre mois au lieu de quatre jours.
Mais j’aime Domitie ; et lui parler contre elle,
C’est me mettre au hasard d’irriter l’infidèle.
Ne me condamne point, Albin, à la trahir,
À joindre à ses mépris le droit de me haïr :
En vain je veux contre elle écouter ma colère ;
Toute ingrate qu’elle est, je tremble à lui déplaire[3].