Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/234

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Ce qui vous fut aisé, seigneur, ne me l’est pas.
Quand vous avez changé, voyiez-vous Bérénice ?
De votre changement son départ fut complice ;
525Vous l’aviez éloignée, et j’ai devant les yeux,
Je vois presqu’en vos bras ce que j’aime le mieux.
Jugez de ma douleur par l’excès de la vôtre,
Si vous voyiez la reine entre les bras d’un autre ;
Contre un rival heureux épargneriez-vous rien,
530À moins que d’un respect aussi grand que le mien ?

TITE.

Vengez-vous, j’y consens ; que rien ne vous retienne.
Je prends votre maîtresse ; allez, prenez la mienne.
Épousez Bérénice, et…

DOMITIAN.

Épousez Bérénice, et…Vous n’achevez point,
Seigneur : ne pourriez-vous aimer jusqu’à ce point ?

TITE.

535Oui, si je ne craignois pour vous l’injuste haine
Que Rome concevroit pour l’époux d’une reine.

DOMITIAN.

Dites, dites, seigneur, qu’il est bien malaisé
De céder ce qu’adore un cœur bien embrasé ;
Ne vous contraignez plus, ne gênez plus votre âme,
540Satisfaites en maître une si belle flamme ;
Quand vous aurez su dire une fois : « je le veux, »
D’un seul mot prononcé vous ferez quatre heureux.
Bérénice est toujours digne de votre couche,
Et Domitie enfin vous parle par ma bouche ;
545Car je ne saurois plus vous le taire ; oui, Seigneur,
Vous en voulez la main, et j’en ai tout le cœur :
Elle m’en fit le don dès la première vue,
Et ce don fut l’effet d’une force imprévue,
De cet ordre du ciel qui verse en nos esprits
550Les principes secrets de prendre et d’être pris.