Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/500

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PACORUS.

595Depuis quand le retour d’un cœur comme le mien
Fait-il si peu d’honneur qu’on ne le compte à rien ?

PALMIS.

Depuis qu’il est honteux d’aimer un infidèle,
Que ce qu’un mépris chasse un coup d’œil le rappelle,
Et que les inconstants ne donnent point de cœurs
600Sans être encor tous prêts[1] de les porter ailleurs.

PACORUS.

Je le suis, je l’avoue, et mérite la honte
Que d’un retour suspect vous fassiez peu de conte[2].
Montrez-vous généreuse ; et si mon changement
A changé votre amour en vif ressentiment,
605Immolez un courroux si grand, si légitime,
À la juste pitié d’un si malheureux crime.
J’en suis assez puni sans que l’indignité…

PALMIS.

Seigneur, le crime est grand ; mais j’ai de la bonté.
Je sais ce qu’à l’État ceux de votre naissance,
610Tous maîtres qu’ils en sont, doivent d’obéissance :
Son intérêt chez eux l’emporte sur le leur,
Et du moment qu’il parle, il fait taire le cœur.

PACORUS.

Non, Madame, souffrez que je vous désabuse ;
Je ne mérite point l’honneur de cette excuse :
615Ma légèreté seule a fait ce nouveau choix ;
Nulles raisons d’État ne m’en ont fait de lois ;
Et pour traiter la paix avec tant d’avantage,
On ne m’a point forcé de m’en faire le gage :
J’ai pris plaisir à l’être, et plus mon crime est noir,

  1. Thomas Corneille (1692), et Voltaire après lui (1764), ont corrigé tous prêts en tout prêts ; et un peu plus loin, au vers 610, Tous maîtres en Tout maîtres.
  2. Conte, compte. C’est l’orthographe constante de Corneille. Nous la conservons à la rime.