Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/512

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Met jusque dans ses murs Rome en inquiétude :
895Par gloire, ou pour braver au besoin mon courroux,
Vous traînez en tous lieux dix mille âmes à vous[1] :
Le nombre est peu commun pour un train domestique ;
Et s’il faut qu’avec vous tout à fait je m’explique,
Je ne vous saurois croire assez en mon pouvoir,
900Si les nœuds de l’hymen n’enchaînent le devoir.

SURÉNA.

Par quel crime, Seigneur, ou par quelle imprudence
Ai-je pu mériter si peu de confiance ?
Si mon cœur, si mon bras pouvoit être gagné,
Mithradate et Crassus n’auroient rien épargné :
Tous les deux…

ORODE.

905Tous les deux…Laissons là Crassus et Mithradate.
Suréna, j’aime à voir que votre gloire éclate :
Tout ce que je vous dois, j’aime à le publier ;
Mais quand je m’en souviens, vous devez l’oublier.
Si le ciel par vos mains m’a rendu cet empire,
910Je sais vous épargner la peine de le dire ;
Et s’il met votre zèle au-dessus du commun,
Je n’en suis point ingrat : craignez d’être importun.

SURÉNA.

Je reviens à Palmis, Seigneur. De mes hommages
Si les lois du devoir sont de trop foibles gages,
915En est-il de plus sûrs, ou de plus fortes lois,
Qu’avoir une sœur reine et des neveux pour rois ?
Mettez mon sang au trône, et n’en cherchez point d’autres,
Pour unir à tel point mes intérêts aux vôtres,
Que tout cet univers, que tout notre avenir
920Ne trouve aucune voie à les en désunir.

  1. « Il (Suréna) faisoit en tout de ses subjects et vassaux plus de dix mille cheuaux. » (Plultarque, Vie de Crassus, chapitre xxi.)