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MÉDÉE,

TRAGÉDIE. — 1635

ÉPITRE DE CORNEILLE
À MONSIEUR P. T. N. G.

Monsieur,

Je vous donne Médée toute méchante qu’elle est, et ne vous dirai rien pour sa justification. Je vous la donne pour telle que vous la voudrez prendre, sans tâcher à prévenir ou violenter vos sentiments par un étalage des préceptes de l’art, qui doivent être fort mal entendus et fort mal pratiqués quand ils ne nous font pas arriver au but que l’art se propose. Celui de la poésie dramatique est de plaire, et les règles qu’elle nous prescrit ne sont que des adresses pour en faciliter les moyens au poète, et non pas des rai—.sous qui puissent persuader aux spectateurs qu’une chose soit agréable quand elle leur déplaît. Ici vous trouverez le crime en son char de triomphe, et peu de personnages sur la scène dont les mœurs ne soient plus mauvaises que bonnes ; mais la peinture et la poésie ont cela de conuitun entre beaucoup d’autres choses, que l’une fait souvent de beaux portraits d’une femme laide, et l’autre de belles imitations d’une action qu’il ne faut pas imiter. Dans la portraiture^, il n’est pas question si un visage est beau, mais s’il ressemble ; et dans la poésie, il ne faut pas consfdérer si les mœurs sont vertueuses, mais si elles sont pareilles à celles de la personne qu’elle introduit. Aussi nous décrit-elle indifféremment les bonnes et les mauvaises actions, sans nous proposer les dernières pour exemple ; etLorsqu’on Joua la Médée de Corneille, on n’avait d’ouvrage un peu supportable, à quelques égards, que la Sophonisbe de Mairet, donné » en 1G33. On ne connaissait que des imitations languissantes des tragédies grecques et espagnoles, ou des inventions puériles, telles que V Innocente infidélité de Rotrou, V Hôpital des fous Ai nommé Beys, le Clpowedon deduRyer, YOntnte de Scudéri, la Pèlerine amoureuse. Ce sont là lu » pièces qu’on joua dans celte même année 1636, un peu avant la Médée de Corneille. ( V. )

’Je n’ai pu découvrir qui est ce monsieur P. T. N. G. àcpil Corneille dédie Médée ; mais il est assez utile de voir que l’auteur condamne lui-même son ouvrage. Cette dédicace a clé faite plusieurs années après la représentation. Il était alors assez grand pour avouer qu’il ne l’avait pas toujours été. ( V. ) — Medef fut imprimée pour la première fois en 1C39. ^ l’ortraistice est un mot suranné, et c’est dommage ; il est nécessaire : portniilnte signifie l’art de faire ressembler : on emploie aujourd’hui portrait pour exprimer l’art et la chose. Porlraire est encore un mot nécessaire que nous avons abandonné. ( V. )

si elle nous en veut faire quelque horreur, ce n’est point par leur punition, qu’elle n’affecte pas de nous faire voir, mais par leur laideur, qu’elle s’efforce de nous représenter au naturel. Il n’est pas besoin d’avertir ici le public que celles de cette tragédie ne sont pas à imiter : elles paraissent assez à découvert pour n’en faire envie à personne. Je n’examine point si elles sont vraisemblables ou non : cette difficulté, qui est la plus délicate de la poésie, et peut— être la moins entendue, demanderait un discours trop long pour une épître : il me suffit qu’elles sont autorisées ou par la vérité de l’histoire, ou par l’opinion commune des anciens. Elles vous ont agréé autrefois sur le théâtre ; j’espère qu’elles vous satisferont encore aucunement’sur le papier ; et demeure,

Monsieur, Votre très-humble serviteur, COR>EILLE.

PERSONNAGES.

CRÉON, roi de Corinthe.

.KGÉE, roi d’Athènes.

JASON, mari de Médée.

POf-LUX, argonaute, ami de Jason. CRfiUSE, fille de Créon.

MIÏDÉE, femme de Jason.

CLf’.OlSE, gouvernante de Creuse. NftRINE, suivante de Médée.

THEUDAS, domestique de Créon.

Troupe des gardes de Créon. La scène est à Corinthe.

ACTE

PREMIER.

SCErsJE l^llEMIERE.

POLLIJX, JASON.

rOLLUX. Que je sons à la fois de surprise et de joie ! & peut-il qu’en ces lieux enfin je vous revoie,’Àurunnnrnt, vieux mot qui signifie en quelque sorte, en partie, et qui valait mieux que ces périphrases. ( V. )