Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 1.djvu/476

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À monsieur L.P.C.B.

Monsieur,

Je n’abuserai point de votre absence de la cour pour vous imposer touchant cette tragédie : sa représentation n’a pas eu grand éclat, et quoique beaucoup en attribuent la cause à diverses conjonctures qui pourraient me justifier aucunement, pour moi, je ne m’en veux prendre qu’à ses défauts, et la tiens mal faite, puisqu’elle a été mal suivie. J’aurais tort de m’opposer au jugement du public : il m’a été trop avantageux en mes autres ouvrages pour le désavouer en celui-ci et, si je l’accusais d’erreur ou d’injustice pour Théodore, mon exemple donnerait lieu à tout le monde de soupçonner des mêmes choses tous les arrêts qu’il a prononcés en ma faveur. Ce n’est pas toutefois sans quelque sorte de satisfaction que je vois que la meilleure partie de mes juges impute ce mauvais succès à l’idée de la prostitution que l’on a pu souffrir, quoiqu’on sût bien qu’elle n’aurait pas d’effet et que, pour en exténuer l’horreur, j’aie employé tout ce que l’art et l’expérience m’ont pu fournir de lumières ; et, certes, il y a de quoi congratuler à la pureté de notre théâtre, de voir qu’une histoire qui fait le plus bel ornement du second livre des Vierges de saint Ambroise se trouve trop licencieuse pour y être supportée. Qu’eût-on dit, si, comme ce grand docteur de l’Église, j’eusse fait voir Théodore dans le lieu infâme, si j’eusse décrit les diverses agitations de son âme durant qu’elle y fut, si j’eusse figuré les troubles qu’elle y ressentit au premier moment qu’elle y vit entrer Didyme ? C’est là-dessus que ce grand saint fait triompher son éloquence, et c’est pour ce spectacle qu’il invite particulièrement les vierges à ouvrir les yeux. Je l’ai dérobé à la vue, et, autant que j’ai pu, à l’imagination de mes auditeurs ; et après y avoir consumé toute mon adresse, la modestie de notre scène a désavoué comme indigne d’elle ce peu que la nécessité de mon sujet m’a forcé d’en faire connaître. Après cela, j’oserai bien dire que ce n’est pas contre des comédies pareilles aux nôtres que déclame saint Augustin, et que ceux que le scrupule ou le caprice ou le zèle, en rend opiniâtres ennemis, n’ont pas grande raison de s’appuyer de son autorité. C’est avec justice qu’il condamne celles de son temps, qui ne méritaient que trop le nom qu’il leur donne de spectacles de turpitude, mais c’est avec injustice qu’on veut étendre cette condamnation jusqu’à celles du nôtre, qui ne contiennent, pour l’ordinaire, que des exemples d’innocence, de vertu et de piété. J’aurais mauvaise grâce de vous en entretenir plus au long : vous êtes déjà trop persuadé de ces vérités, et ce n’est pas mon dessein d’entreprendre ici de désabuser ceux qui ne veulent pas l’être ; il est juste qu’on les abandonne à leur aveuglement volontaire, et que, pour peine de la trop facile croyance qu’ils donnent à des invectives mal fondées, ils demeurent privés du plus agréable et du plus utile des divertissements dont l’esprit humain soit capable. Contentons-nous d’en jouir sans leur en faire part et sou