Valens
L’impérieuse humeur ! Vois comme elle me brave,
Comme son fier orgueil m’ose traiter d’esclave !
Paulin
Seigneur, j’en suis confus, mais vous le méritez :
Au lieu d’y résister, vous vous y soumettez.
Valens
Ne t’imagine pas que, dans le fond de l’âme,
Je préfère à mon fils les fureurs d’une femme :
L’un m’est plus cher que l’autre, et, par ce triste arrêt,
Ce n’est que de ce fils que je prends l’intérêt.
Théodore est chrétienne, et ce honteux supplice
Vient moins de ma rigueur que de mon artifice ;
Cette haute infamie où je veux la plonger
Est moins pour la punir que pour la voir changer.
Je connais les chrétiens : la mort la plus cruelle
Affermit leur constance et redouble leur zèle,
Et, sans s’épouvanter de tous nos châtiments,
Ils trouvent des douceurs au milieu des tourments.
Mais la pudeur peut tout sur l’esprit d’une fille
Dont la vertu répond à l’illustre famille
Et j’attends aujourd’hui d’un si puissant effort
Ce que n’obtiendraient pas les frayeurs de la mort.
Après ce grand effet, j’oserai tout pour elle,
En dépit de Flavie, en dépit de Marcelle,
Et je n’ai rien à craindre auprès de l’empereur
Si le cœur endurci renonce à son erreur :
Lui-même il me louera d’avoir su l’y réduire,
Lui-même il détruira ceux qui m’en voudraient nuire ;
J’aurai lieu de braver Marcelle et ses amis.
Ma vertu me soutient où son crédit m’a mis,
Mais elle me perdrait, quelque rang que je tienne,
Si j’osais, à ses yeux, sauver cette chrétienne.
Va la voir de ma part, et tâche à l’étonner :
Dis-lui qu’à tout le peuple on va l’abandonner,
Tranche le mot, enfin, que je la prostitue
Et, quand tu la verras troublée et combattue,
Donne entrée à Placide, et souffre que son feu
Tâche d’en arracher un favorable aveu.
Les larmes d’un amant et l’horreur de sa honte
Pourront fléchir ce cœur qu’aucun péril ne dompte,
Et lors elle n’a point d’ennemis si puissants
Dont elle ne triomphe avec un peu d’encens ;
Et cette ignominie où je l’ai condamnée
Se changera soudain en heureux hyménée.
Paulin
Votre prudence est rare, et j’en suivrai les lois.
Daigne le juste ciel seconder votre choix,
Et, par une influence un peu moins rigoureuse,
Disposer Théodore à vouloir être heureuse !
Acte III
Scène première
Théodore, Paulin
Théodore
Où m’allez-vous conduire ?
Paulin
Il est en votre choix :
Suivez-moi dans le temple, ou subissez nos lois.
Théodore
De ces indignités vos juges sont capables ?
Paulin
Ils égalent la peine aux crimes des coupables.
Théodore
Si le mien est trop grand pour le dissimuler,
N’est-il point de tourments qui puissent l’égaler ?
Paulin
Comme dans les tourments vous trouvez des délices,
Ils ont trouvé pour vous ailleurs de vrais supplices,
Et, par un châtiment aussi grand que nouveau,
De votre vertu même ils font votre bourreau.
Théodore
Ah ! Qu’un si détestable et honteux sacrifice
Est pour elle, en effet, un rigoureux supplice !
Paulin
Ce mépris de la mort qui partout à nos yeux
Brave si hautement et nos lois et nos dieux,
Cette indigne fierté ne serait pas punie
À ne vous ôter rien de plus cher que la vie ;
Il faut qu’on leur immole, après de tels mépris,
Ce que chez votre sexe on met à plus haut prix,
Ou que cette fierté, de nos lois ennemie,
Cède aux justes horreurs d’une pleine infamie,
Et que votre pudeur rende de nos immortels
L’encens que votre orgueil refuse à leurs autels.
Théodore
Valens me fait par vous porter cette menace
Mais, s’il hait les chrétiens, il respecte ma race :
Le sang d’Antiochus n’est pas encore si bas
Qu’on l’abandonne en proie aux fureurs des soldats.
Paulin
Ne vous figurez point qu’en un tel sacrilège
Le sang d’Antiochus ait quelque priv