Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 1.djvu/495

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r l’âme,

Viens voir de ma colère un juste et prompt effet

Joindre en ces mêmes lieux la peine à son forfait,

Confondre son triomphe avecque son supplice.

Paulin

Ce n’est pas en ces lieux qu’il vous fera justice :

Didyme en est sorti.

Placide

Quoi ! Paulin, ce voleur

À déjà par sa fuite évité ma douleur !

Paulin

Oui. Mais il n’était plus, en sortant, ce Didyme

Dont l’orgueil insolent demandait sa victime ;

Ses cheveux sur son front s’efforçaient de cacher

La rougeur que son crime y semblait attacher,

Et le remords de sorte abattait son courage

Que même il n’osait plus nous montrer son visage,

L’œil bas, le pied timide, et le corps chancelant,

Tel qu’un coupable enfin qui s’échappe en tremblant.

À peine il est sorti que la fière insolence

Du soldat mutiné reprend sa violence :

Chacun, en sa valeur mettant tout son appui,

S’efforce de montrer qu’il n’a cédé qu’à lui ;

On se pousse, on se presse, on se bat, on se tue ;

J’en vois une partie à mes pieds abattue.

Au spectacle sanglant que je m’étais promis,

Cléobule survient avec quelques amis,

Met l’épée à la main, tourne en fuite le reste,

Entre…

Placide

Lui seul ?

Paulin

Lui seul.

Placide

Ah ! Dieux ! Quel coup funeste !

Paulin

Sans doute il n’est entré que pour l’en retirer.

Placide

Dis, dis, qu’il est entré pour la déshonorer

Et que le sort cruel, pour hâter ma ruine,

Veut qu’après un rival un ami m’assassine.

Le traître ! Mais, dis-moi, l’en as-tu vu sortir ?

Montrait-il de l’audace ou quelque repentir ?

Qui des siens l’a suivi ?

Paulin

Cette troupe fidèle

M’a chassé comme chef des soldats de Marcelle ;

Je n’ai rien vu de plus, mais, loin de le blâmer,

Je présume…

Placide

Ah ! je sais ce qu’il faut présumer :

Il est entré lui seul.

Paulin

Ayant si peu d’escorte,

C’est ainsi qu’il a dû s’assurer de la porte,

Et si là tous ensemble il ne les eût laissés,

Assez facilement on les aurait forcés.

Mais le voici qui vient pour vous en rendre compte ;

À son zèle, de grâce, épargnez cette honte.

Scène IV

Placide, Paulin, Cléobule

Placide

Eh bien ! Votre parente ? Elle est hors de ces lieux

Où l’on sacrifiait sa pudeur à nos dieux ?

Cléobule

Oui, Seigneur.

Placide

J’ai regret qu’un cœur si magnanime

Se soit ainsi laissé prévenir par Didyme.

Cléobule

J’en dois être honteux, mais je m’étonne fort

Qui vous a pu sitôt en faire le rapport :

J’en croyais apporter les premières nouvelles.

Placide

Grâces aux dieux, sans vous j’ai des amis fidèles,

Mais ne différez plus à me la faire voir.

Cléobule

Qui, Seigneur ?

Placide

Théodore.

Cléobule

Est-elle en mon pouvoir ?

Placide

Ne me dites-vous pas que vous l’avez sauvée ?

Cléobule

Je vous le dirais, moi, qui ne l’ai plus trouvée ?

Placide

Quoi ! Soudain par un charme elle avait disparu ?

Cléobule

Puisque déjà ce bruit jusqu’à vous a couru,

Vous savez que sans charme elle a fui sa disgrâce,

Que je n’ai plus trouvé que Didyme en sa place,

Quel plaisir prenez-vous à me le déguiser ?

Placide

Quel plaisir prenez-vous vous-même à m’abuser,

Quand Paulin, de ses yeux, a vu sortir Didyme ?