Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 1.djvu/593

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par la force du raisonnement, ou le cœur par la délicatesse des passions. Ce n’est pas que j’en aie fui ou négligé aucune occasions ; mais il s’en est rencontré si peu, que j’aime mieux avouer que cette pièce n’est que pour les yeux.


PERSONNAGES


DIEUX DANS LES MACHINES.

Jupiter.

Junon.

Neptune.

Mercure.

Le Soleil.

Vénus.

Melpomène.

Éole.

Cymodoce, Néréide

Éphyre, Néréide

Cydippe, Néréide

Huit vents.


HOMMES.

Céphée, roi d’Éthiopie, père d’Andromède.

Cassiope, reine d’Éthiopie.

Andromède, fille de Céphée et de Cassiope.

Phinée, prince d’Éthiopie.

Persée, fils de Jupiter et de Danaé

Timante, capitaine des gardes du roi.

Ammon, ami de Phinée.

Aglante, Nymphe d’Andromède

Céphalie, Nymphe d’Andromède

Liriope, Nymphe d’Andromède

Un Page de Phinée.

Chœur de peuple.

Suite du roi.


La scène est en Éthiopie, dans la ville capitale du royaume de Céphée, proche de la mer.


PROLOGUE

L’ouverture du théâtre présente de front aux yeux des spectateurs une vaste montagne, dont les sommets inégaux, s’élevant les uns sur les autres, portent le faîte jusques dans les nues. Le pied de cette montagne est percé à jour par une grotte profonde qui laisse voir la mer en éloignement. Les deux côtés du théâtre sont occupés par une forêt d’arbres touffus et entrelacés les uns dans les autres. Sur un des sommets de la montagne paraît Melpomène, la muse de la tragédie ; et, à l’opposite, dans le ciel, on voit le Soleil s’avancer dans un char tout lumineux, tiré par quatre chevaux qu’Ovide lui donne.

Le Soleil, Melpomène
MELPOMÈNE
Arrête un peu ta course impétueuse ;
Mon théâtre, Soleil, mérite bien tes yeux[1] ;
Tu n’en vis jamais en ces lieux
La pompe plus majestueuse :
J’ai réuni, pour la faire admirer,
Tout ce qu’ont de plus beau la France et l’Italie ;
De tous leurs arts mes sœurs l’ont embellie :
Prête⁻moi tes rayons pour la mieux éclairer.
Daigne à tant de beautés, par ta propre lumière,
Donner un parfait agrément,
Et rends cette merveille entière
En lui servant toi-même d’ornement.
LE SOLEIL
Charmante muse de la scène,
Chère et divine Melpomène,
Tu sais de mon destin l’inviolable loi ;
Je donne l’âme à toutes choses,
Je fais agir toutes les causes ;
Mais quand je puis le plus, je suis le moins à moi ;
Par une puissance plus forte
Le char que je conduis m’emporte :
Chaque jour sans repos doit et naître et mourir.
J’en suis esclave alors que j’y préside ;
Et ce frein que je tiens aux chevaux que je guide
Ne règle que leur route, et les laisse courir.
MELPOMÈNE
La naissance d’Hercule et le festin d’Atrée
T’ont fait rompre ces lois ;
Et tu peux faire encor ce qu’on t’a vu deux fois
Faire en même contrée.
Je dis plus : tu le dois en faveur du spectacle
Qu’au monarque des lis je prépare aujourd’hui ;
Le ciel n’a fait que des miracles en lui ;
Lui voudrais-tu refuser un miracle ?
LE SOLEIL
Non, mais je le réserve à ces bienheureux jours
Qu’ennoblira sa première victoire ;
Alors j’arrêterai mon cours
Pour être plus longtemps le témoin de sa gloire.
Prends cependant le soin de le bien divertir,
  1. Je ne ferai point de remarques détaillées sur ce théâtre qui mérite les yeux du Soleil au lieu de ses regards, ni sur le frein que le Soleil tient à ses chevaux ; mais je remarquerai que ce n’est pas Quinault qui consacra le premier ses prologues à la louange de Louis XIV : il ne lui donna même jamais de louanges aussi outrées dans le cours de ses conquêtes que Corneille lui en donne ici. Il n’est guère permis de dire à un prince qui n’a encore aucune occasion de se signaler, qu’il est le plus grand des rois. Alexandre, César et Pompée, attachés au char de Louis XIV avant qu’il ait pu rien faire, révoltent un peu le lecteur.

    Je lui montre Pompée, Alexandre, César,
    Mais comme des héros attachés à son char.

    C’est cet endroit que Boileau voulait noter quand il dit à Louis XIV :

    Ce n’est pas qu’aisément, comme un autre, à ton char
    Je ne puisse attacher Alexandre et César. (V.)