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- Chacun préférerait le portrait au modèle,
- Et bientôt l’univers n’adorerait plus qu’elle[1].
ANDROMÈDE
- En l’état où je suis le sort m’est-il trop doux,
- Si vous ne me donnez de quoi craindre pour vous ?
- Faut-il encore ce comble à des malheurs extrêmes ?
- Qu’espérez vous, madame, à force de blasphèmes ?
CASSIOPE
- Attirer et leur monstre et leur foudre sur moi :
- Mais je ne les irrite, hélas ! que contre toi ;
- Sur ton sang innocent retombent tous mes crimes ;
- Seule tu leur tiens lieu de mille autres victimes,
- Et pour punir ta mère ils n’ont, ces cruels dieux,
- Ni monstre dans la mer, ni foudre dans les cieux.
- Aussi savent-ils bien que se prendre à ta vie,
- C’est percer de mon cœur la plus tendre partie ;
- Que je souffre bien plus en te voyant périr,
- Et qu’ils me feraient grâce en me faisant mourir.
- Ma fille, c’est donc là cet heureux hyménée[2],
- Cette illustre union par Vénus ordonnée
- Qu’avecque tant de pompe il fallait préparer,
- Et que ces mêmes dieux devaient tant honorer !
- Ce que nos yeux ont vu n’était-ce donc qu’un songe,
- Déesse ? ou ne viens-tu que pour dire un mensonge ?
- Nous aurais-tu parlé sans l’aveu du Destin ?
- Est-ce ainsi qu’à nos maux le ciel trouve une On ?
- Est-ce ainsi qu’Andromède en reçoit les caresses ?
- Si contre elle l’envie émeut quelques déesses,
- L’amour en sa faveur n’arme-t-il point de dieux ?
- Sont-ils tous devenus, ou sans cœur, ou sans yeux ?
- Le maître souverain de toute la nature
- Pour de moindres beautés a changé de figure ;
- Neptune a soupiré pour de moindres appas ;
- Elle en montre à Phébus que Daphné n’avait pas ;
- Et l’Amour en Psyché voyait bien moins de charmes,
- Quand pour elle il daigna se blesser de ses armes.
- Qui dérobe à tes yeux le droit de tout charmer.
- Ma fille ? au vif éclat qu’ils sèment dans la mer.
- Les tritons amoureux, malgré leurs néréides,
- Devraient déjà sortir de leurs grottes humides.
- Aux fureurs de leur monstre à l’envi s’opposer,
- Contre ce même écueil eux-mêmes l’écraser,
- Et de ses os brisés, de sa rage étouffée,
- Au pied de ton rocher t’élever un trophée.
ANDROMÈDE, voyant venir le monstre de loin.
- Renouveler le crime, est-ce pour les fléchir ?
- Vous hâtez mon supplice au lieu de m’affranchir.
- Vous appelez le monstre. Ah ! du moins à sa vue
- Quittez la vanité qui m’a déjà perdue.
- Il n’est mortel ni dieu qui m’ose secourir.
- Il vient ; consolez-vous, et me laissez mourir.
CASSIOPE
- Je le vois, c’en est fait. Parais du moins, Phinée,
- Pour sauver la beauté qui t’était destinée ;
- Parais. Il en est temps, viens en dépit des dieux
- Sauver ton Andromède, ou périr à ses yeux ;
- L’amour te le commande, et l’honneur t’en convie ;
- Peux-tu, si tu la perds, aimer encor la vie ?
ANDROMÈDE
- Il n’a manque d’amour, ni manque de valeur ;
- Mais sans doute, madame, il est mort de douleur :
- Et comme il a du cœur et sait que je l’adore,
- Il périrait ici, s’il respirait encore.
CASSIOPE
- Dis plutôt que l’ingrat n’ose te mériter.
- Toi donc, qui plus que lui t’osais tantôt vanter,
- Viens, amant inconnu, dont la haute origine,
- Si nous t’en voulons croire, est royale ou divine ;
- Viens en donner la preuve, et, par un prompt secours,
- Fais-nous voir quelle foi l’on doit à tes discours ;
- Supplante ton rival par une illustre audace ;
- Viens à droit de conquête en occuper la place :
- Andromède est à toi si tu l’oses gagner.
- Quoi ! lâches, le péril vous la fait dédaigner !
- Il éteint en tous deux ces flammes sans secondes !
- Allons, mon désespoir, jusqu’au milieu des ondes
- Faire servir l’effort de nos bras impuissants
- D’exemple et de reproche à leurs feux languissants ;
- Faisons ce que tous deux devraient faire avec joie ;
- Détournons sa fureur dessus une autre proie :
- Heureuse si mon sang la pouvait assouvir !
- Allons. Mais qui m’arrête ? Ah ! c’est mal me servir.
- (On voit ici Persée descendre du haut des nues.)
Scène III
Andromède, attachée au rocher ; Persée, en l’air, sur le cheval Pégase ; Cassiope, Timante et le chœur sur le rivage.
TIMANTE, montrant Persée à Cassiope, et l’empêchant de se jeter en la mer.
- Courez-vous à la mort quand on vole à votre aide ?
- Voyez par quels chemins on secourt Andromède ;
- Quel héros, ou quel dieu sur ce cheval ailé…
- ↑ Voilà encore un des grands défauts de Corneille ; il cherche des pensées, des traits d’esprit, et, qui pis est, d’un esprit faux, quand il ne faut exprimer que la douleur. Cassiope découvre d’oû provient tant de haine ; c’est de jalousie : et Clytemnestre, dans Iphigénie, ne s’exprime pas ainsi. Mais, malgré ce défaut, il y a des moments de chaleur dans le discours de Cassiope ; on remarquera seulement qu’Andromède, enchaînée sur son rocher, et sur le point d’être dévorée, n’est pas en état de faire la conversation. (V.)
- ↑ On retrouve le même mouvement, et presque la même pensée dans ces vers de Racine :
Barbare ! c’est donc là cet heureux sacrifice
Que vos soins préparaient avec tant d’artifice !Iphigénie, acte IV, sc, IV.