Ne m’empêcha jamais de voir dans son courage ;
Et nous étions tous deux semblables en ce point,
Que nous feignions d’aimer ce que nous n’aimions point.
Philiste
Ce que vous n’aimiez point ! Jeune dissimulée,
Fallait-il donc souffrir d’en être cajolée ?
Doris
Il le fallait souffrir, ou vous désobliger.
Philiste
Dites qu’il vous fallait un esprit moins léger.
Chrisante
Célidan vient d’entrer : fais un peu de silence,
Et du moins à ses yeux cache ta violence.
Scène V
Philiste, Chrysante, Célidan, Doris
Philiste, à Célidan.
Eh bien ! que dit, que fait, notre amant irrité ?
Persiste-t-il encor dans sa brutalité ?
Célidan
Quitte pour aujourd’hui le soin de tes querelles :
J’ai bien à te conter de meilleures nouvelles.
Les ravisseurs n’ont plus Clarice en leur pouvoir.
Philiste
Ami, que me dis-tu ?
Célidan
Ce que je viens de voir.
Philiste
Et de grâce, où voit-on le sujet que j’adore ?
Dis-moi le lieu.
Célidan
Le lieu ne se dit pas encore.
Celui qui te la rend te veut faire une loi…
Philiste
Après cette faveur, qu’il dispose de moi ;
Mon possible est à lui.
Célidan
Donc, sous cette promesse,
Tu peux dans son logis aller voir ta maîtresse :
Ambassadeur exprès…
Scène VI
Chrysante, Célidan, Doris
Chrisante
Son feu précipité
Lui fait faire envers vous une incivilité ;
Vous la pardonnerez à cette ardeur trop forte
Qui sans vous dire adieu, vers son objet l’emporte.
Célidan
C’est comme doit agir un véritable amour.
Un feu moindre eût souffert quelque plus long séjour ;
Et nous voyons assez par cette expérience
Que le sien est égal à son impatience.
Mais puisqu’ainsi le ciel rejoint ces deux amants,
Et que tout se dispose à vos contentements,
Pour m’avancer aux miens, oserais-je, madame
Offrir à tant d’appas un cœur qui n’est que flamme,
Un cœur sur qui ses yeux de tout temps absolus
Ont imprimé des traits qui ne s’effacent plus ?
J’ai cru par le passé qu’une ardeur mutuelle
Unissait les esprits et d’Alcidon et d’elle,
Et qu’en ce cavalier son désir arrêté
Prendrait tous autres vœux pour importunité.
Cette seule raison m’obligeant à me taire,
Je trahissais mon feu de peur de lui déplaire ;
Mais aujourd’hui qu’un autre en sa place reçu
Me fait voir clairement combien j’étais déçu,
Je ne condamne plus mon amour au silence,
Et viens faire éclater toute sa violence.
Souffrez que mes désirs, si longtemps retenus,
Rendent à sa beauté des vœux qui lui sont dus ;
Et du moins, par pitié d’un si cruel martyre,
Permettez quelque espoir à ce cœur qui soupire.
Chrisante
Votre amour pour Doris est un si grand bonheur
Que je voudrais sur l’heure en accepter l’honneur ;
Mais vous voyez le point où me réduit Philiste,
Et comme son caprice à mes souhaits résiste.
Trop chaud ami qu’il est, il s’emporte à tous coups
Pour un fourbe insolent qui se moque de nous.
Honteuse qu’il me force à manquer de promesse,
Je n’ose vous donner une réponse expresse,
Tant je crains de sa part un désordre nouveau.
Célidan
Vous me tuez, madame, et cachez le couteau :
Sous ce détour discret un refus se colore.
Chrisante
Non, monsieur, croyez-moi, votre offre nous honore.
Aussi dans le refus j’aurais peu de raison :
Je connais votre bien, je sais votre maison.
Votre père jadis (hélas ! que cette histoire
Encor sur mes vieux ans m’est douce en la mémoire !),
Votre feu père, dis-je, eut de l’amour pour moi ;
J’étais son cher objet ; et maintenant je voi
Que comme par un droit successif de famille,
L’amour qu’il eut pour moi, vous l’avez pour ma fille.
S’il m’aimait, je l’aimais ; et les seules rigueurs
De ses cruels parents divisèrent nos cœurs :
On l’éloigna de moi par ce maudit usage
Qui n’a d’égard qu’aux biens pour faire un mariage ;
Et son père jamais ne souffrit son retour
Que ma foi n’eût ailleurs engagé mon amour :
En vain à cet hymen j’opposai ma constance ;
La volonté des miens vainquit ma résistance.