Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 2.djvu/185

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Plus je doute si je le puis.
Sparte est un état populaire,
Qui ne donne à ses rois qu’un pouvoir limité :
On peut y tout dire et tout faire
Sous ce grand nom de liberté.
Si je suis souverain en tête d’une armée,
Je n’ai que ma voix au sénat ;
Il faut y rendre compte ; et tant de renommée
Y peut avoir déjà quelque ligue formée
Pour autoriser l’attentat.
Ce prétexte flatteur de la cause publique,
Dont il le couvrira, si je le mets au jour,
Tournera bien des yeux vers cette politique
Qui met chacun en droit de régner à son tour.
Cet espoir y pourra toucher plus d’un courage ;
Et quand sur Lysander j’aurai fait choir l’orage,
Mille autres, comme lui jaloux ou mécontents,
Se promettront plus d’heur à mieux choisir leur temps.
Ainsi de toutes parts le péril m’environne :
Si je veux le punir, j’expose ma couronne ;
Et si je lui fais grâce, ou veux dissimuler,
Je dois craindre…

xenocles

Cotys, Seigneur, vous veut parler.

agésilas

Voyons quelle est sa flamme, avant que de résoudre
S’il nous faudra lancer ou retenir la foudre.


Scène III

Agésilas, Cotys, Xénoclès
agésilas

Si vous n’êtes, Seigneur, plus mon ami qu’amant,
Vous me voudrez du mal avec quelque justice ;
Mais vous m’êtes trop cher, pour souffrir aisément
Que vous vous attachiez au père d’Elpinice :
Non qu’entre un si grand homme et moi
Ce qu’on voit de froideur prépare aucune haine ;
Mais c’est assez pour voir cet hymen avec peine
Qu’un sujet déplaise à son roi.
D’ailleurs je n’ai pas cru votre âme fort éprise :
Sans l’avoir jamais vue, elle vous fut promise ;
Et la foi qui ne tient qu’à la raison d’état
Souvent n’est qu’un devoir qui gêne, tyrannise,
Et fait sur tout le cœur un secret attentat.

cotys

Seigneur, la personne est aimable :
Je promis de l’aimer avant que de la voir,
Et sentis à sa vue un accord agréable
Entre mon cœur et mon devoir.
La froideur toutefois que vous montrez au père
M’en donne un peu pour elle, et me la rend moins chère :
Non que j’ose après vos refus
Vous assurer encor que je ne l’aime plus.
Comme avec ma parole il nous fallait la vôtre,
Vous dégagez ma foi, mon devoir, mon honneur ;
Mais si vous en voulez dégager tout mon cœur,
Il faut l’engager à quelque autre.

agésilas

Choisissez, choisissez, et s’il est quelque objet
À Sparte, ou dans toute la Grèce,
Qui puisse de ce cœur mériter la tendresse,
Tenez-vous sûr d’un prompt effet.
En est-il qui vous touche ? En est-il qui vous plaise ?

cotys

Il en est, oui, Seigneur, il en est dans Éphèse ;
Et pour faire en ce cœur naître un nouvel amour,
Il ne faut point aller plus loin que votre cour :
L’éclat et les vertus de l’illustre Mandane…

agésilas

Que dites-vous, Seigneur ? Et quel est ce désir ?
Quand par toute la Grèce on vous donne à choisir,
Vous choisissez une Persane !
Pensez-y bien, de grâce, et ne nous forcez pas,
Nous qui vous aimons, à connaître
Que pressé d’un amour, qui ne vient pas de naître,
Vous ne venez à moi que pour suivre ses pas.

cotys

Mon amour en ces lieux ne cherchait qu’Elpinice ;
Mes yeux ont rencontré Mandane par hasard ;
Et quand ce même amour, de vos froideurs complice,
S’est voulu pour vous plaire attacher autre part,
Les siens ont attiré toute la déférence
Que j’ai cru devoir rendre à votre aversion ;
Et je l’ai regardée, après votre alliance,
Bien moins Persane de naissance
Que Grecque par adoption.

agésilas

Ce sont subtilités que l’amour vous suggère,
Dont nous voyons pour nous les succès incertains.
Ne pourriez-vous, Seigneur, d’une amitié si chère
Mettre le grand dépôt en de plus sûres mains ?
Pausanias et moi nous avons des parentes ;
Et jamais un vrai roi ne fait un digne choix
S’il ne s’allie au sang des rois.

cotys

Quand on aime, on se fait des règles différentes.
Spitridate a du nom et de la qualité ;
Sans trône, il a d’un roi le pouvoir en partage ;
Votre Grèce en reçoit un pareil avantage ;
Et le sang n’y met pas tant d’inégalité,
Que l’amour où sa sœur m’engage
Ravale fort ma dignité.
Se peut-il qu’en l’aimant ma gloire se hasarde
Après l’exemple d’un grand roi,
Qui, tout grand roi qu’il est, l’estime et la regarde
Avec les mêmes yeux que moi ?
Si ce bruit n’est point faux, mon mal est sans remède ;