Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 2.djvu/200

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D’avec le Visigoth détacher le Romain.
J’y perdis auprès d’eux des soins qui me perdirent :
Loin de se diviser, d’autant mieux ils s’unirent.
La terreur de mon nom pour nouveaux compagnons
Leur donna les Alains, les Francs, les Bourguignons ;
Et n’ayant pu semer entre eux aucuns divorces,
Je me vis en déroute avec toutes mes forces.
J’ai su les rétablir, et cherche à me venger ;
Mais je cherche à le faire avec moins de danger.
De ces cinq nations contre moi trop heureuses,
J’envoie offrir la paix aux deux plus belliqueuses ;
Je traite avec chacune, et comme toutes deux
De mon hymen offert ont accepté les noeuds,
Des princesses qu’ensuite elles en font le gage
L’une sera ma femme et l’autre mon otage.
Si j’offense par là l’un des deux souverains,
Il craindra pour sa soeur qui reste entre mes mains.
Ainsi je les tiendrai l’un et l’autre en contrainte,
L’un par mon alliance, et l’autre par la crainte ;
Ou si le malheureux s’obstine à s’irriter,
L’heureux en ma faveur saura lui résister,
Tant que de nos vainqueurs terrassés l’un par l’autre
Les trônes ébranlés tombent aux pieds du nôtre.
Quant à l’amour, apprends que mon plus doux souci
N’est… Mais Ardaric entre, et Valamir aussi.


Scène II


Attila

Rois, amis d’Attila, soutiens de ma puissance,
Qui rangez tant d’états sous mon obéissance,
Et de qui les conseils, le grand coeur et la main,
Me rendent formidable à tout le genre humain,
Vous voyez en mon camp les éclatantes marques
Que de ce vaste effroi nous donnent deux monarques.
En Gaule Mérouée, à Rome l’empereur,
Ont cru par mon hymen éviter ma fureur.
La paix avec tous deux en même temps traitée
Se trouve avec tous deux à ce prix arrêtée ;
Et presque sur les pas de mes ambassadeurs
Les leurs m’ont amené deux princesses leurs soeurs.
Le choix m’en embarrasse, il est temps de le faire ;
Depuis leur arrivée en vain je le diffère :
Il faut enfin résoudre ; et quel que soit ce choix,
J’offense un empereur, ou le plus grand des rois.
Je le dis le plus grand, non qu’encor la victoire
Ait porté Mérouée à ce comble de gloire ;
Mais si de nos devins l’oracle n’est point faux,
Sa grandeur doit atteindre aux degrés les plus hauts ;
Et de ses successeurs l’empire inébranlable
Sera de siècle en siècle enfin si redoutable,
Qu’un jour toute la terre en recevra des lois,
Ou tremblera du moins au nom de leurs François.
Vous donc, qui connaissez de combien d’importance
Est pour nos grands projets l’une et l’autre alliance,
Prêtez-moi des clartés pour bien voir aujourd’hui
De laquelle ils auront ou plus ou moins d’appui,
Qui des deux, honoré par ces noeuds domestiques,
Nous vengera le mieux des champs catalauniques ;
Et qui des deux enfin, déchu d’un tel espoir,
Sera le plus à craindre à qui veut tout pouvoir.

Ardaric

En l’état où le ciel a mis votre puissance,
Nous mettrions en vain les forces en balance :
Tout ce qu’on y peut voir ou de plus ou de moins
Ne vaut pas amuser le moindre de vos soins.
L’un et l’autre traité suffit pour nous instruire
Qu’ils vous craignent tous deux et n’osent plus vous nuire.
Ainsi, sans perdre temps à vous inquiéter,
Vous n’avez que vos yeux, seigneur, à consulter.
Laissez aller ce choix du côté du mérite
Pour qui, sur leur rapport, l’amour vous sollicite :
Croyez ce qu’avec eux votre coeur résoudra ;
Et de ces potentats s’offense qui voudra.

Attila

L’amour chez Attila n’est pas un bon suffrage ;
Ce qu’on m’en donnerait me tiendrait lieu d’outrage,
Et tout exprès ailleurs je porterais ma foi,
De peur qu’on n’eût par là trop de pouvoir sur moi.
Les femmes qu’on adore usurpent un empire
Que jamais un mari n’ose ou ne peut dédire.
C’est au commun des rois à se plaire en leurs fers,
Non à ceux dont le nom fait trembler l’univers.
Que chacun de leurs yeux aime à se faire esclave ;
Moi, je ne veux les voir qu’en tyrans que je brave :
Et par quelques attraits qu’ils captivent un coeur,
Le mien en dépit d’eux est tout à ma grandeur.
Parlez donc seulement du choix le plus utile,
Du courroux à dompter ou plus ou moins facile ;
Et ne me dites point que de chaque côté
Vous voyez comme lui peu d’inégalité.
En matière d’état ne fût-ce qu’un atome,
Sa perte quelquefois importe d’un royaume ;
Il n’est scrupule exact qu’il n’y faille garder,
Et le moindre avantage a droit de décider.

Valamir

Seigneur, dans le penchant que prennent les affaires,
Les grands discours ici ne sont pas nécessaires :
Il ne faut que des yeux ; et pour tout découvrir,
Pour décider de tout, on n’a qu’à les ouvrir.
Un grand destin commence, un grand destin s’achève :