Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 2.djvu/220

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Il est mort ?

Valamir

Écoutez
Comme enfin l’ont puni ses propres cruautés,
Et comme heureusement le ciel vient de souscrire
À ce que nos malheurs vous ont fait lui prédire.
À peine sortions-nous, pleins de trouble et d’horreur,
Qu’Attila recommence à saigner de fureur,
Mais avec abondance ; et le sang qui bouillonne
Forme un si gros torrent, que lui-même il s’étonne.
Tout surpris qu’il en est : " s’il ne veut s’arrêter,
Dit-il, on me paiera ce qu’il m’en va coûter. "
Il demeure à ces mots sans parole, sans force ;
Tous ses sens d’avec lui font un soudain divorce :
Sa gorge enfle, et du sang dont le cours s’épaissit
Le passage se ferme, ou du moins s’étrécit.
De ce sang renfermé la vapeur en furie
Semble avoir étouffé sa colère et sa vie ;
Et déjà de son front la funeste pâleur
N’opposait à la mort qu’un reste de chaleur,
Lorsqu’une illusion lui présente son frère,
Et lui rend tout d’un coup la vie et la colère :
Il croit le voir suivi des ombres de six rois,
Qu’il se veut immoler une seconde fois ;
Mais ce retour si prompt de sa plus noire audace
N’est qu’un dernier effort de la nature lasse,
Qui prête à succomber sous la mort qui l’atteint,
Jette un plus vif éclat, et tout d’un coup s’éteint.
C’est en vain qu’il fulmine à cette affreuse vue :
Sa rage qui renaît en même temps le tue.
L’impétueuse ardeur de ces transports nouveaux
À son sang prisonnier ouvre tous les canaux ;
Son élancement perce ou rompt toutes les veines,
Et ces canaux ouverts sont autant de fontaines
Par où l’âme et le sang se pressent de sortir,
Pour terminer sa rage et nous en garantir.
Sa vie à longs ruisseaux se répand sur le sable ;
Chaque instant l’affaiblit, et chaque effort l’accable ;
Chaque pas rend justice au sang qu’il a versé,
Et fait grâce à celui qu’il avait menacé.
Ce n’est plus qu’en sanglots qu’il dit ce qu’il croit dire ;
Il frissonne, il chancelle, il trébuche, il expire ;
Et sa fureur dernière, épuisant tant d’horreurs,
Venge enfin l’univers de toutes ses fureurs.



Scène VII


Ardaric

Ce n’est pas tout, seigneur ; la haine générale,
N’ayant plus à le craindre, avidement s’étale ;
Tous brûlent de servir sous des ordres plus doux,
Tous veulent à l’envi les recevoir de nous.
Ce bonheur étonnant que le ciel nous renvoie
De tant de nations fait la commune joie ;
La fin de nos périls en remplit tous les voeux,
Et pour être tous quatre au dernier point heureux,
Nous n’avons plus qu’à voir notre flamme avouée
Du souverain de Rome et du grand Mérouée :
La princesse des Francs m’impose cette loi.

Honorie

Pour moi, je n’en ai plus à prendre que de moi.

Ardaric

Ne perdons point de temps en ce retour d’affaires :
Allons donner tous deux les ordres nécessaires,
Remplir ce trône vide, et voir sous quelles lois
Tant de peuples voudront nous recevoir pour rois.

Valamir

Me le permettez-vous, madame ? Et puis-je croire
Que vous tiendrez enfin ma flamme à quelque gloire ?

Honorie

Allez ; et cependant assurez-vous, seigneur,
Que nos destins changés ont point changé mon coeur.