Page:Corneille - Le Cid, Searles, 1912.djvu/40

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Elle aime don Rodrigue, et le tient de ma main,
Et par moi don Rodrigue a vaincu son dédain :
Ainsi de ces amants ayant formé les chaînes,
Je dois prendre intérêt à voir finir leurs peines.

Léonor

Madame, toutefois parmi leurs bons succès
Vous montrez un chagrin qui va jusqu’à l’excès.
Cet amour, qui tous deux les comble d’allégresse,
Fait-il de ce grand cœur la profonde tristesse,
Et ce grand intérêt que vous prenez pour eux
Vous rend-il malheureuse alors qu’ils sont heureux ?
Mais je vais trop avant, et deviens indiscrète.

L’Infante

Ma tristesse redouble à la tenir secrète.
Écoute, écoute enfin comme j’ai combattu,
Écoute quels assauts brave encor ma vertu.
L’amour est un tyran qui n’épargne personne :
Ce jeune cavalier, cet amant que je donne,
Je l’aime.

Léonor

Je l’aime. Vous l’aimez !

L’Infante

Je l’aime. Vous l’aimez ! Mets la main sur mon cœur,
Et vois comme il se trouble au nom de son vainqueur,
Comme il le reconnaît.

Léonor

Comme il se reconnaît. Pardonnez-moi, Madame,
Si je sors du respect pour blâmer cette flamme.
Une grande princesse à ce point s’oublier
Que d’admettre en son cœur un simple cavalier !