Page:Corneille - Le Menteur, illustrations Pauquet, 1851.djvu/16

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EXAMEN DU MENTEUR.

Cette pièce est en partie traduite, en partie imitée de l’espagnol. Le sujet m’en semble si spirituel et si bien tourné, que j’ai dit souvent que je voudrais avoir donné les deux plus belles pièces que j’aie faites, et qu’il fût de mon invention. On l’a attribué au fameux Lope de Vegue ; mais il m’est tombé depuis peu entre les mains un volume de don Juan d’Alarcon, où il prétend que cette comédie est à lui, et se plaint des imprimeurs qui l’ont fait courir sous le nom d’un autre. Si c’est son bien, je n’empêche pas qu’il ne s’en ressaisisse. De quelque main que parte cette comédie, il est constant qu’elle est très-ingénieuse, et je n’ai rien vu dans cette langue qui m’ait satisfait davantage.

J’ai tâché de la réduire à notre usage et dans nos règles ; mais il m’a fallu forcer mon aversion pour les aparté dont je n’aurais pu la purger sans lui faire perdre une bonne partie de ses beautés. Je les ai faits le plus courts que j’ai pu, et je me le suis permis rarement sans laisser deux acteurs ensemble qui s’entretiennent tout bas, cependant que d’autres disent ce que ceux-là ne doivent pas écouter. Cette duplicité d’action particulière ne rompt point l’unité de la principale, mais elle gêne un peu l’attention de l’auditeur, qui ne sait à laquelle s’attacher, et qui se trouve obligé de séparer aux deux ce qu’il est accoutumé de donner à une.

L’unité de lieu s’y trouve, en ce que tout s’y passe dans Paris ; mais le premier acte est dans les Tuileries, et le reste à la Place-Royale. Celle de jour n’y est pas forcée, pourvu qu’on lui laisse les vingt-quatre heures entières.

Quant à celle d’action, je ne sais s’il n’y a point quelque chose à dire, en ce que Dorante aime Clarice dans toute la pièce, et épouse Lucrèce à la fin, qui par là ne répond pas à la protase. L’auteur espagnol lui donne ainsi le change pour punition de ses menteries, et le réduit à épouser par force cette Lucrèce qu’il n’aime point. Comme il se méprend toujours au nom, et croit que Clarice porte celui-là, il lui présente la main quand on lui a accordé l’autre, et dit hautement, lorsqu’on l’avertit de son erreur, que, s’il s’est trompé au nom, il ne se trompe point à la personne. Sur quoi le père de Lucrèce le menace de le tuer, s’il n’épouse sa fille après l’avoir demandée et obtenue ; et le sien propre lui fait la même menace. Pour moi, j’ai trouvé cette manière de finir un peu dure, et cru qu’un mariage moins violenté serait plus au goût de notre auditoire. C’est ce qui m’a obligé à lui donner une pente vers la personne de Lucrèce, au cinquième acte, afin qu’après qu’il a reconnu sa méprise aux noms, il fasse de nécessité vertu de meilleure grâce, et que la comédie se termine avec pleine tranquillité de tous côtés.

FIN DU MENTEUR.
Paris — Typographie Pion frères, rue de Vaugirard, 3C.