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DU POËME DRAMATIQUE. i5

où les noms et les choses étoient de pure invention, aussi bien qu'en la comédie ; mais les grands sujets qui remuent fortement les passions, et en opposant l'impé- tuosité aux lois du devoir ou aux tendresses du sang, doivent toujours aller au delà du vraisemblable, et ne trouveroient aucune croyance parmi les auditeurs, s'ils n'étoient soutenus, ou par l'autorité de l'histoire qui per- suade avec empire, ou par la préoccupation de l'opinion commune qui nous donne ces mêmes auditeurs déjà tous persuadés. Il n'est pas vraisemblable que Médée tue ses enfants, que Clytemnestre assassine son mari, qu'Oreste poignarde sa mère ; mais l'histoire le dit, et la représen- tation de ces grands crimes ne trouve point d'incrédules. Il n'est ni vrai ni vraisemblable qu'Andromède, exposée à un monstre marin, ave été garantie de ce péril par un cavalier volant, qui avoitdes ailes aux pieds ; mais c'est une fiction * que l'antiquité a reçue ; et comme elle l'a transmise jusqu'à nous, personne ne s'en offense quand on ^ la voit sur le théâtre. Il ne seroit pas permis toutefois d'inventer sur ces exemples. Ce que la vérité ou l'opinion fait accepter seroit rejeté, s'il n'avoit point d'autre fon- dement qu'une ressemblance à cette vérité ou à cette opi- nion. C'est pourquoi notre docteur dit que les sujets viennent de la fortune, qui h'it arrixer les choses, et non de l'art, qui les imagine ". Elle est maîtresse des événe- ments, et le choix qu'elle nous donne de ceux qu'elle nous présente enveloppe une secrète défense d'entreprendre sur elle, et d'en produire sur la scène qui ne soient pas de sa façon. Aussi les anciennes trarjédies se sont arrê- tées autour de peu de familles, parce quil ètoit arrivé

1. Var. (édit. de 1660) : une erreur.

2. Var. (édit. de 1660 et de i663): il.

3. Ztj-ojvtcÇ -fxo ojy. xTzô tî'/vt);, iXX' àrco tÛ/tj; îjpov tÔ TOioutov -xpaiy-cyâ,:-.'/ Èv toî; ,u.u9o'.;. (Aristotc, Poétique, chap. xiv, 10.)

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