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64 DISCOURS

Cléopatre et Phocas y eussent triomphé. Leur malheur y donne une pitié qui n'est point étouffée par Taversion qu'on a pour ceux qui les tyrannisent, parce qu'on espère toujours que quelque heureuse révolution les empêchera de succomber ; et bien que les crimes de Phocas et de Cléopatre soient trop grands pour faire craindre l'audi- teur d'en commettre de pareils, leur funeste issue peut faire sur lui les effets dont j'ai déjà parlé. 11 peut arriver d'ailleurs qu'un homme très-vertueux soit persécuté, et périsse même par les ordres d'un autre, qui ne soit pas assez méchant pour attirer trop d'indignation sur lui, et qui montre plus de foiblesse que de crime dans la per- sécution qu'il lui fait. Si Félix fait périr son gendre Polyeucle, ce n'est pas par cette haine enragée contre les chrétiens, qui nous le rendroit exécrable, mais seulement par une lâche timidité, qui n'ose le sauver en présence de Sévère, dont il craint la haine et la vengeance après les mépris qu'il en a faits durant son peu de fortune. On prend bien quelque aversion pour lui, on désapprouve sa manière d'agir ; mais cette aversion ne l'emporte pas sur la pitié qu'on a de Polyeucte, et n'empêche pas que sa conversion miraculeuse, à la fin de la pièce, ne le récon- cilie pleinement avec l'auditoire. On peut dire la même chose de Prusias dans Nicomède, et de Valens dans Théodore. L'un maltraite son fds, bien que très-ver- tueux, et l'autre est cause de la perle du sien, qui ne l'est pas moins ; mais tous les deux n'ont que des foi- blesses qui ne vont point jusques au crime, et loin d'ex- citer une indignation qui étouffe la pitié qu'on a pour ces fils généreux, la lâcheté de leur abaissement sous des puissances qu'ils redoutent, et qu'ils devroient braver pour bien agir, fait qu'on a quelque compassion d'eux- mêmes et de leur honteuse politique.

Pour nous faciliter les moyens d'exciter cette pitié, qui

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