Page:Corneille - Marty-Laveaux 1910 tome 1.djvu/206

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mémoire de l’auditeur, qui les aura lues autrefois, ne s’y sera pas si fort attachée qu’il s’aperçoive assez du chan- gement que nous y aurons fait, pour nous accuser de mensonge ; ce qu’il ne manqueroit pas de faire s’il voyoit que nous changeassions l’action principale. Cette falsification seroit cause qu’il n’ajouteroit aucune foi à tout le reste ; comme au contraire il croit aisément tout ce reste quand il le voit servir d’acheminement à l’effet qu’il sait véritable, et dont l’histoire lui a laissé une phis forte impression. L’exemple de la mort de Clytemnestre peut servir de preuve à ce que je viens d’avancer : Sophocle et Euripide l’ont traitée tous deux, mais chacun avec un nœud et un dénouement tout à fait différents l’un de l’autre ; et c’est cette diflerence qui empêche que ce ne soit la même pièce, bien que ce soit le même sujet, dont ils ont conservé l’action principale. Il faut donc la conserver comme eux ; mais il faut examiner en même temps si elle n’est point si cruelle, on si difficile à représenter, qu’elle puisse diminuer quelque chose de la croyance que l’auditeur doit à l’histoire, et qu’il veut bien donner à la fable, en se mettant en la place de ceux qui l’ont prise pour une vérité. Lorsque cet inconvénient est à craindre, il est bon de cacher l’événement à la vue, et de le faire savoir par un récit qui frappe moins que le spectacle, et nous impose plus aisément. C’est par cette raison qu’Horace ne veut pas que Médée tue ses enfants, ni qu’Atrée fasse rôtir ceux de Thyeste’ à la vue du peuple ^ L’horreur de ces actions engendre une répugnance à les croire, aussi bien que la métamorphose de Progné en oiseau et de Cadmus en serpent, dont la représentation presque impossible excite

1. Art poétique, v. 185, 186.

2. VAR (édit. de 1660); devant le peuple.