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Page:Corneille - Marty-Laveaux 1910 tome 1.djvu/43

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SUR PIERRE CORNEILLE. xxx

bonté de sa pièce que par l'argent qui lui en revient'; il ne sait pas la réciter, ni lire son écriture. »

Vigneul Marville parle à peu près de même ^ : «A voir M. de Corneille, on ne l'auroit pas pris pour un homme qui faisoit si bien parler les Grecs et les Romains et qui donnoit un si grand relief aux sentiments et aux pensées des héros. La première fois que je le vis, je le pris pour un marchand de Rouen. Son extérieur n'avoit rien qui parlât pour son esprit ; et sa conversation étoit si pesante qu'elle devenoit à charge dès qu'elle duroit un peu. Une grande princesse, qui avoit désiré de le voir et de l'entretenir, disoit fort bien qu'il ne falloit point l'écouter ailleurs qu'à l'Hôtel de Bourgogne. Certaine- ment M. de Corneille se négligeoit trop, ou pour mieux dire, la nature, qui lui avoit été si libérale en des choses extraordi- naires, l'avoit comme oublié dans les plus communes. Quand ses familiers amis, qui auroient souhaité de le voir parfait en tout, lui faisoient remarquer ces légers défauts, il sourioit et disoit: « Je n'en suis pas moins pour cela Pierre de Cor- ce neille. » Il n'a jamais parlé bien correctement la langue fran- çoise ; peut-être ne se mettoit-il pas en peine de cette exac- titude, mais peut-être aussi n'avoit-il pas assez de force pour s'y soumettre. »

Fontenelle, à la fin du portrait, fort intéressant pour nous et fidèle sans aucun doute, qu'il nous a laissé de son oncle, ne rend pas un témoignage beaucoup plus favorable de son talent de lecteur: « M. Corneille, dit-il, étoit assez grand et assez plein, l'air fort simple et fort commun, toujours négligé, et peu curieux de son extérieur. Il avoit le visage assez agréable, un grand nez, la bouche belle, les yeux pleins de feu, la physio-

1. « Corneille ne sentoit pas la Leauté de ses vers, » a dit Segrais {Mémoires anecdotes, tome II des Œuvras, 1755, p. 5i). Charpen- tier, plus rigoureux, accusant, comme d'autres l'ont fait. Corneille d'avidité et d'avarice, s'exprime ainsi: « Corneille..., avec son pa- tois normand, vous dit franchement qu'il ne se soucie point des ap- plaudissements qu'il obtient ordinairement sur le théâtre, s'ils ne sont suivis de quelque chose de plus solide. » (^Carpenleriana, Paris, 1724, p. iio.)

2. Mélanges d'histoire et de littérature, recueillis par Vigneul Mar- ville (Bonaventure d'Argonne), 1701, tome I, p. 167 et 168.

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