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ACTE III, SCÈNE III.

PAULINE.

Il le doit ; mais, hélas ! où me renvoyez-vous ?
Et quels tristes hasards ne court point mon époux,
Si de son inconstance il faut qu’enfin j’espère
Le bien que j’espérois de la bonté d’un père ?

FÉLIX.

Je vous en fais trop voir, Pauline, à consentir
Qu’il évite la mort par un prompt repentir.
Je devois même peine à des crimes semblables ;
Et, mettant différence entre ces deux coupables,
J’ai trahi la justice à l’amour paternel ;
Je me suis fait pour lui moi-même criminel,
Et j’attendois de vous, au milieu de vos craintes,
Plus de remerciements que je n’entends de plaintes.

PAULINE.

De quoi remercier qui ne me donne rien ?
Je sais quelle est l’humeur et l’esprit d’un chrétien.
Dans l’obstination jusqu’au bout il demeure :
Vouloir son repentir, c’est ordonner qu’il meure.

FÉLIX.

Sa grâce est en sa main, c’est à lui d’y rêver.

PAULINE.

Faites-la tout entière.

FÉLIX.

Faites-la tout entière.Il la peut achever.

PAULINE.

Ne l’abandonnez pas aux fureurs de sa secte.

FÉLIX.

Je l’abandonne aux lois, qu’il faut que je respecte.

PAULINE.

Est-ce ainsi que d’un gendre un beau-père est l’appui ?

FÉLIX.

Qu’il fasse autant pour soi comme je fais pour lui.

PAULINE.

Mais il est aveuglé.

FÉLIX.

Mais il est aveuglé.Mais il se plaît à l’être.
Qui chérit son erreur ne la veut pas connoître.