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POLYEUCTE.


Scène III.

FÉLIX, PAULINE, STRATONICE.
FÉLIX.

Une telle insolence avoir osé paroître !
En public ! à ma vue ! il en mourra, le traître.

PAULINE.

Souffrez que votre fille embrasse vos genoux.

FÉLIX.

Je parle de Néarque, et non de votre époux.
Quelque indigne qu’il soit de ce doux nom de gendre,
Mon âme lui conserve un sentiment plus tendre ;
La grandeur de son crime et de mon déplaisir
N’a pas éteint l’amour qui me l’a fait choisir.

PAULINE.

Je n’attendois pas moins de la bonté d’un père.

FÉLIX.

Je pouvois l’immoler à ma juste colère :
Car vous n’ignorez pas à quel comble d’horreur
De son audace impie a monté la fureur ;
Vous l’avez pu savoir du moins de Stratonice.

PAULINE.

Je sais que de Néarque il doit voir le supplice.

FÉLIX.

Du conseil qu’il doit prendre il sera mieux instruit,
Quand il verra punir celui qui l’a séduit.
Au spectacle sanglant d’un ami qu’il faut suivre,
La crainte de mourir et le désir de vivre
Ressaisissent une âme avec tant de pouvoir,
Que qui voit le trépas cesse de le vouloir.
L’exemple touche plus que ne fait la menace :
Cette indiscrète ardeur tourne bientôt en glace,
Et nous verrons bientôt son cœur inquiété
Me demander pardon de tant d’impiété.

PAULINE.

Vous pouvez espérer qu’il change de courage ?

FÉLIX.

Aux dépens de Néarque il doit se rendre sage.