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ACTE I, SCÈNE III.


J’ai vu mon père même, un poignard à la main,
Entrer le bras levé pour lui percer le sein :
Là, ma douleur trop forte a brouillé ces images ;
Le sang de Polyeucte a satisfait leurs rages.
Je ne sais ni comment ni quand ils l’ont tué,
Mais je sais qu’à sa mort tous ont contribué.
Voilà quel est mon songe.

STRATONICE.

Voilà quel est mon songe.Il est vrai qu’il est triste ;
Mais il faut que votre âme à ces frayeurs résiste :
La vision, de soi, peut faire quelque horreur,
Mais non pas vous donner une juste terreur.
Pouvez-vous craindre un mort ? pouvez-vous craindre un père
Qui chérit votre époux, que votre époux révère,
Et dont le juste choix vous a donnée à lui
Pour s’en faire en ces lieux un ferme et sûr appui ?

PAULINE.

Il m’en a dit autant, et rit de mes alarmes ;
Mais je crains des chrétiens les complots et les charmes,
Et que sur mon époux leur troupeau ramassé
Ne venge tant de sang que mon père a versé.

STRATONICE.

Leur secte est insensée, impie, et sacrilège,
Et dans son sacrifice use de sortilège ;
Mais sa fureur ne va qu’à briser nos autels ;
Elle n’en veut qu’aux dieux, et non pas aux mortels.
Quelque sévérité que sur eux on déploie,
Ils souffrent sans murmure et meurent avec joie ;
Et, depuis qu’on les traite en criminels d’État,
On ne peut les charger d’aucun assassinat.

PAULINE.

Tais-toi, mon père vient.


Scène IV.

FÉLIX, ALBIN, PAULINE, STRATONICE.
FÉLIX.

Tais-toi, mon père vient.Ma fille, que ton songe