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POLYEUCTE.

FÉLIX.

Que ne permettra-t-il à son ressentiment ?
Et jusques à quel point ne porte sa vengeance
Une juste colère avec tant de puissance ?
Il nous perdra, ma fille.

PAULINE.

Il nous perdra, ma fille.Il est trop généreux.

FÉLIX.

Tu veux flatter en vain un père malheureux ;
Il nous perdra, ma fille. Ah ! regret qui me tue
De n’avoir pas aimé la vertu toute nue !
Ah ! Pauline, en effet, tu m’as trop obéi ;
Ton courage étoit bon, ton devoir l’a trahi :
Que ta rébellion m’eût été favorable !
Qu’elle m’eût garanti d’un état déplorable !
Si quelque espoir me reste, il n’est plus aujourd’hui
Qu’en l’absolu pouvoir qu’il te donnoit sur lui ;
Ménage en ma faveur l’amour qui le possède,
Et d’où provient mon mal fais sortir le remède.

PAULINE.

Moi ! moi ! que je revoie un si puissant vainqueur,
Et m’expose à des yeux qui me percent le cœur !
Mon père, je suis femme, et je sais ma foiblesse ;
Je sens déjà mon cœur qui pour lui s’intéresse
Et poussera sans doute, en dépit de ma foi,
Quelque soupir indigne et de vous et de moi.
Je ne le verrai point.

FÉLIX.

Je ne le verrai point.Rassure un peu ton âme.

PAULINE.

Il est toujours aimable, et je suis toujours femme ;
Dans le pouvoir sur moi que ses regards ont eu,
Je n’ose m’assurer de toute ma vertu.
Je ne le verrai point.

FÉLIX.

Je ne le verrai point.Il faut le voir, ma fille,
Ou tu trahis ton père et toute ta famille.

PAULINE.

C’est à moi d’obéir, puisque vous commandez ;