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POLYEUCTE.


Allons, mon cher Néarque, allons aux yeux des hommes
Braver l’idolâtrie, et montrer qui nous sommes :
C’est l’attente du ciel, il nous la faut remplir ;
Je viens de le promettre, et je vais l’accomplir.
Je rends grâces au Dieu que tu m’as fait connoître
De cette occasion qu’il a sitôt fait naître,
Où déjà sa bonté, prête à me couronner,
Daigne éprouver la foi qu’il vient de me donner.

NÉARQUE.

Ce zèle est trop ardent, souffrez qu’il se modère.

POLYEUCTE.

On n’en peut avoir trop pour le Dieu qu’on révère.

NÉARQUE.

Vous trouverez la mort.

POLYEUCTE.

Vous trouverez la mort.Je la cherche pour lui.

NÉARQUE.

Et si ce cœur s’ébranle ?

POLYEUCTE.

Et si ce cœur s’ébranle ?Il sera mon appui.

NÉARQUE.

Il ne commande point que l’on s’y précipite.

POLYEUCTE.

Plus elle est volontaire, et plus elle mérite.

NÉARQUE.

Il suffit, sans chercher, d’attendre et de souffrir.

POLYEUCTE.

On souffre avec regret quand on n’ose s’offrir.

NÉARQUE.

Mais dans ce temple enfin la mort est assurée.

POLYEUCTE.

Mais dans le ciel déjà la palme est préparée.

NÉARQUE.

Par une sainte vie il faut la mériter.

POLYEUCTE.

Mes crimes, en vivant, me la pourroient ôter.
Pourquoi mettre au hasard ce que la mort assure ?
Quand elle ouvre le ciel, peut-elle sembler dure ?