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ACTE TROISIÈME


Scène I.

PAULINE.

Que de soucis flottans, que de confus nuages
Présentent à mes yeux d’inconstantes images !
Douce tranquillité que je n’ose espérer,
Que ton divin rayon tarde à les éclairer !
Mille agitations, que mes troubles produisent,
Dans mon cœur ébranlé tour à tour se détruisent ;
Aucun espoir n’y coule où j’ose persister ;
Aucun effroi n’y règne où j’ose m’arrêter.
Mon esprit, embrassant tout ce qu’il s’imagine,
Voit tantôt mon bonheur, et tantôt ma ruine,
Et suit leur vaine idée avec si peu d’effet,
Qu’il ne peut espérer ni craindre tout à fait.
Sévère incessamment brouille ma fantaisie :
J’espère en sa vertu, je crains sa jalousie ;
Et je n’ose penser que d’un œil bien égal
Polyeucte en ces lieux puisse voir son rival.
Comme entre deux rivaux la haine est naturelle,
L’entrevue aisément se termine en querelle ;
L’un voit aux mains d’autrui ce qu’il croit mériter,
L’autre un désespéré qui peut trop attenter.
Quelque haute raison qui règle leur courage,
L’un conçoit de l’envie, et l’autre de l’ombrage ;
La honte d’un affront que chacun d’eux croit voir
Ou de nouveau reçue, ou prête à recevoir,
Consumant dès l’abord toute leur patience,
Forme de la colère et de la défiance,
Et, saisissant ensemble et l’époux et l’amant
En dépit d’eux les livre à leur ressentiment.
Mais que je me figure une étrange chimère,
Et que je traite mal Polyeucte et Sévère !
Comme si la vertu de ces fameux rivaux
Ne pouvait s’affranchir de ces communs défauts !
Leurs âmes à tous deux d’elles-mêmes maîtresses