Page:Corneille - Polyeucte, édition Masson, 1887.djvu/35

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STRATONICE.

L’ont-ils assassiné ? Ce seroit peu de chose.
Tout votre songe est vrai, Polyeucte n’est plus…

PAULINE.

Il est mort !

STRATONICE.

Il est mort ! Non, il vit ; mais, ô pleurs superflus !
Ce courage si grand, cette âme si divine,
N’est plus digne du jour, ni digne de Pauline.
Ce n’est plus cet époux si charmant à vos yeux,
C’est l’ennemi commun de l’État et des dieux
Un méchant, un infâme, un rebelle, un perfide,
Un traître, un scélérat, un lâche, un parricide,
Une peste exécrable à tous les gens de bien,
Un sacrilège impie, en un mot, un chrétien.

PAULINE.

Ce mot auroit suffi sans ce torrent d’injures.

STRATONICE.

Ces titres aux chrétiens sont-ce des impostures ?

PAULINE.

Il est ce que tu dis, s’il embrasse leur foi ;
Mais il est mon époux, et tu parles à moi.

STRATONICE.

Ne considérez plus que le Dieu qu’il adore.

PAULINE.

Je l’aimai par devoir ; ce devoir dure encore.

STRATONICE.

Il vous donne à présent sujet de le haïr :
Qui trahit tous nos dieux aurait pu vous trahir.

PAULINE.

Je l’aimerois encor, quand il m’auroit trahie ;
Et si de tant d’amour tu peux être ébahie,
Apprends que mon devoir ne dépend point du sien :
Qu’il y manque, s’il veut ; je dois faire le mien.
Quoi ! s’il aimoit ailleurs serois-je dispensée
À suivre, à son exemple, une ardeur insensée ?
Quelque chrétien qu’il soit, je n’en ai point d’horreur ;
Je chéris sa personne, et je hais son erreur.