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ACTE IV SCÈNE III.

Sa faveur me couronne entrant dans la carrière ;
Du premier coup de vent il me conduit au port,
Et, sortant du baptême, il m’envoie à la mort.
Si vous pouviez comprendre et le peu qu’est la vie,
Et de quelles douceurs cette mort est suivie !…
Mais que sert de parler de ces trésors cachés
À des esprits que Dieu n’a pas encor touchés ?

PAULINE.

Cruel ! (car il est temps que ma douleur éclate,
Et qu’un juste reproche accable une âme ingrate)
Est-ce là ce beau feu ? sont-ce là tes sermens ?
Témoignes-tu pour moi les moindres sentimens ?
Je ne te parlois point de l’état déplorable
Où ta mort va laisser ta femme inconsolable ;
Je croyais que l’amour t’en parleroit assez,
Et je ne voulois pas de sentimens forcés :
Mais cette amour si ferme et si bien méritée
Que tu m’avois promise, et que je t’ai portée,
Quand tu me veux quitter, quand tu me fais mourir,
Te peut-elle arracher une larme, un soupir ?
Tu me quittes, ingrat, et le fais avec joie ;
Tu ne la caches pas, tu veux que je la voie ;
Et ton cœur, insensible à ces tristes appas,
Se figure un bonheur où je ne serai pas !
C’est donc là le dégoût qu’apporte l’hyménée ?
Je te suis odieuse après m’être donnée !

POLYEUCTE.

Hélas !

PAULINE.

Hélas !Que cet hélas a de peine à sortir !
Encor s’il commençoit un heureux repentir,
Que, tout forcé qu’il est, j’y trouverois de charmes !
Mais courage, il s’émeut, je vois couler des larmes.

POLYEUCTE.

J’en verse, et plût à Dieu qu’à force d’en verser
Ce cœur trop endurci se pût enfin percer !
Le déplorable état où je vous abandonne
Est bien digne des pleurs que mon amour vous donne ;