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ACTE V, SCÈNE I.

ALBIN.

Dieux ! que vous vous gênez par cette défiance !

FÉLIX.

Pour subsister en cour c’est la haute science.
Quand un homme une fois a droit de nous haïr,
Nous devons présumer qu’il cherche à nous trahir ;
Toute son amitié nous doit être suspecte.
Si Polyeucte enfin n’abandonne sa secte,
Quoi que son protecteur ait pour lui dans l’esprit,
Je suivrai hautement l’ordre qui m’est prescrit.

ALBIN.

Grâce, grâce, seigneur ! que Pauline l’obtienne.

FÉLIX.

Celle de l’empereur ne suivroit pas la mienne ;
Et, loin de le tirer de ce pas dangereux,
Ma bonté ne feroit que nous perdre tous deux.

ALBIN.

Mais Sévère promet…

FÉLIX.

Mais Sévère promet…Albin, je m’en défie,
Et connois mieux que lui la haine de Décie ;
En faveur des chrétiens s’il choquoit son courroux,
Lui-même assurément se perdroit avec nous.
Je veux tenter pourtant encore une autre voie.
Amenez Polyeucte ; et si je le renvoie,
S’il demeure insensible à ce dernier effort,
Au sortir de ce lieu qu’on lui donne la mort.

ALBIN.

Votre ordre est rigoureux.

FÉLIX.

Votre ordre est rigoureux.Il faut que je le suive,
Si je veux empêcher qu’un désordre n’arrive.
Je vois le peuple ému pour prendre son parti ;
Et toi-même tantôt tu m’en as averti :
Dans ce zèle pour lui qu’il fait déjà paroître,
Je ne sais si longtemps j’en pourrais être maître ;
Peut-être dès demain, dès la nuit, dès ce soir,
J’en verrais des effets que je ne veux pas voir ;
Et Sévère aussitôt, courant à sa vengeance,