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68 CliNNA

tout le monde de sa chambre, et faict donner un siège i Cinna, il luy parla en ceste manière : « En premier lieu, ie « te demande, Cinna, paisible audience : n'interromps pas « mon parler: ie te donneray temps et loisir d"y respondre. « Tu sçais, Cinna, que t'ayant prins au camp de mes enne- a mis, non seulement t'estant faict mon ennemy, mais estant « nay tel, ie te sauvay, ie te meis entre mains touts tes biens, « et t'ai enfin rendu si accommodé et si aysé, que les victo- « rieux sont envieux de la condition du vaincu : l'office du « sacerdoce que tu me demandas, ie te l'octroyay, l'ayant re- « fusé à d'aultres, desquels les pères avoient tousiours com- « battu avecques moy. T'ayanl si fort oblig-é, tu as entreprins « de me tuer. » A quoy Cinna s'estant escrié qu'il estoit bien esloingné d'une si meschante pensée : « Tu ne me tiens pas, « Cinna, ce que tu m'avois promis, suyvit Auguste; tu m'avois « asseuré que ie ne seroys pas interrompu. Ouy, tu as entre- « prins de me tuer en tel lieu, tel iour, en telle compaignie « et de telle façon. » En le voyant transi de ces nouvelles, et en silence, non plus pour tenir le marché de se taire, mais de la presse de sa conscience : « Pourquoy, adiousta il, le fais « tu? Est-ce pour estre empereur? Vrayement il va bien mal « à la chose publique, s'il n'y a que moy quit'empesche d'ar- « river à l'empire. Tu ne peulx pas seulement deffendre ta ♦c maison, et perdis dernièrement un procez par la faveur d'un « simple libertin K Quoy! n'as tu pas moyen ny pouvoir en aultre

  • chose qu'à entreprendre César? le le quitte, s'il n'y a que

« moy qui empesche tes espérances. Penses tu que Paulus, « que Fabius, que les Cosseens et Serviliens te souffrent, et « une si grande troupe de nobles, non seulement nobles de « nom, mais qui par leur vertu honnorent leur noblesse? » Aprez plusieurs aultres propos (car il parla à luy plus de deux heures entières) : « Or va, luy dict il, ie te donne, Cinna, la « vie à traislre et à parrii-.ide, que ie te donnay aultrefois à « ennemy : que l'amitié commence de ce iourd'hui entre « nous : "essayons qui de nous deux de meilleure foy. moy » t'aye donné ta vie, ou tu l'ayes receue. » Et se despartit d'avecques luy en cette manière. Quelque temps aprez il luy donna le consulat, se plaignant de quoy il ne le luy avoitosé demander. Il l'eut depuis pour fort amy, et feutseul faict par luy héritier de ses biens. Or depuis cet accident, qui adveint à Auguste au quarantiesme an de son aage, il n'y eut iamais de coniuration ny d'entreprinse contre luy, et receut une iuste recompense de cette sienne clémence.

^. Libertin Ubertinus, comme liberfus, affranchi.

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