8 LE MENTEUR
du modèle espagnol. Chez Âlarcon comme chez Corneille, c'est un Taux pas qui est le point de départ de la pièce en- tière, mais un faux pas suivi d'une chute réelle, dont Cor- neille épargne le spectacle à notre délicatesse. C'est aussi le prétexte d'une conversation alambiquée, dont Corneille, qui suivait la mode, conforme d'ailleurs à son penchant naturel, a pris plaisir à reproduire les subtilités galanles. Mais ce qu'il n'a pas reproduit, c'est l'invention, assez grossière, du men- teur espagnol, qui se fait passer pour un créole opulent, fait sonner bien haut ses richesses, et, qui pis est, se permet de les offrir. 11 était naturel, assurément, que Garcia parlât des Indes, comme Dorante parle des guerres d'Allemagne, mais on avouera que cette façon de faire sa cour sent le marchand plutôt que le gentilhomme.
Les récits fameux du concert sur l'eau et du mariage de Poitiers ne sont pas moins bien « adaptés » à la scène fran- çaise. Le second est conduit avec un art savant dont l'espa- gnol n'approche pas ; le premier, par la précision sans séche- resse et l'habile appropriation des détails, atteint à la vrai- semblance. C'est le plus bel éloge qu'on en puisse faire ; car il n'était pas aisé de donner quelque air de vraisemblance à des épisodes dont le cadre naturel est la vallée du Mançaiiarès, et qui semblent dépaysés si on les transporte sur les bords de la Seine. Que Corneille ait réussi à rendre l'illusion par- faite, on ne saurait le soutenir, et hii-même ne pouvait s'en flatter; mais c'est beaucoup déjà d'avoir su mettre au point, pour l'optique de notre scène, des récits illuminés du soleil espagnol, d'avoir fait un choix dans ce luxe exubérant de dé- tails, d'avoir sacrifié les six cabinets de feuillage, remplacés par des bateaux, sous notre ciel brumeux, les glaces et les sorbets, les parfums et les essences, les cure-dents même, dont Alarcon n'épargne pas à son lecteur la description mi- nutieuse.
Imiter ainsi, c'est créer encore. Même lorsque Corneille trouve en germe chez Alarcon une belle scène, il y imprime sa marque et la renouvelle si bien qu'il la rend inimitable à ceux-là mêmes dont elle est imitée. Ainsi de la scène tant ad- mirée entre Géronte et son fils. N'est-elle point toute corné- lienne, et n'est-ce point de Corneille surtout qu'on peut dire que sa comédie sait, quand il le faut, élever la voix ? 11 avavt déjà créé de toutes pièces le monologue d'Alcippe \ plus tra- gique assurément que comique, et nous avouons n'en être pas 'choqué, ne comprenant guère pourquoi l'on interdirait
1. Acte II 8C iT.
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