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triple meurtre ne formerait qu'une seule action, qui aurait son commencement, son milieu et sa fin dans la même passion et dans le même personnage. »
A celte simplicité si logique, Lessin:r'oppose les surprises in- vraisemblables et les aventures enchevêtrées de la pièce fr.m- çaise. Selon lui, elles n'ont rien de commun entre elles, si ce n'est qu'elles s'ai-complis^ent dans le même temps. Voici en ef- fet une triple complica'ion que Corneille a introduite dans son drame, au risque d'en al érer l'unité naturelle et la vérité hu- maine :
i° II a supposé que Cléopàtre est animée, non seulement pat la jalousie, mais par l'ambitijn, plus rare et moins excusable chez une femme ^, dont le sexe, au dir« du galant dramaturge «doit éveiller la tendresse et non la crainte, tirer toute sa puissance de ses charmes, et ne régner que p;-ir les caresses». Par s lite, la vengeance de la reine mère, plus froidement conçue, esl plus odieuse.
2° Celte vengeance n'est pas seulement mé,)risable chez Cor- neille; elle y est aussi tout à fait exceptionnelle; car il nesufiBt Das à Cléopàtre de se débarrasser de son ennemie : elle imagine d'imposer, comme condition nécessaire pour arriver au trône, .a mort de Uodogune aux deux princes qui sont précisément amoureux de Rodogune. Ici, le grave Lessing commence à s'é- panouir : «Voilà notre affciire! Bien Irouvél » s'écrie-t-il
ironiquement.
3° Non satisfait de tant d'inventions, Corneille se dit (il est vrai qu'il emprunte le langage de Lessing): « Ne pounions-nous pas embrouiller encoie un peu l'intrigue ? Ne pourrions-nous pas encore jeter ces bons prince- dans un plus grand imbroglio? Essayons. Supposoiis que Rodogune, aspirant, elle aussi, à la vengeance, dise aux princes qui l'aiment: «Que celui de vous deux qui veut m'obtenir, tue sa mère. » C'en est trop : la gaité allemande éclate, bruyante comme une fanfare de kermesse : « Bra\o! voilà ce que j'a )pelle une intrigue ! Les deux princes sont dans une jolie situation 1 Ils auront du fil à retordre, pour se tirer de là. Leur mère leur dit : «Que celui de vous qui veut régner tue son amante 1 » Il va de soi que ce doivent étredes princes très vertueux, qui s'aimenl entre eux du fond du cœur.
��1. Voyez dans les notes, aii début du second acte (se. i et ii), une appré- ciation curieuse de Lessing, sur le caractère féminin en général et le cnrnctèr* de CléopAtrn en particulier.
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