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INTRODUCTION. 49

précieux où l'on voudrait l'enfermer. On n'y voit pas seulement i'am tnle d'Antiochus, mais la fiancée de Nicanor, la prisonnière et la victime de Cléopàtre. Elle a aimé celui que Cléopàtre a tué de sa main; elle aime maintenant son fils, et voici qu'entre elle et lui se dresse encore Cléopàtre. Sa passion n'est pas seule irritée de ces obstacles; sa Oerté de reine en soutfre. sa perspica- cité de femme malheureuse lui fait prévoir de nouveaux malheurs. Toutes ces maximes politiques dont Voltaire critiqui la froideur, auraient dû l'éclairer : c'est à dessein que le poète op[K)se à l'optimisme un peu aveugle de Laonice la défiance clairvoyante de Hodogune. Justement soupçonneuse, celle-ci esi prêle h renoncer à ses soupçons ; mais elle se réserve, elle attend, et bientôt c'est Laonice elle-même qui vient lui donner raison, en l'instruisant des projets criminels de Cléopàtre.

Frappée dans son orgueil et dans son amour, menacée dani* sa vie, que peut-elle faire? La situation, telle qu'elle se pré- sente au début de l'acte III, exige une décision énergique *?> prompte. Voit-on cependant Rodogune se porter aussitôt aux résolutions extrêmes? Elle réfléchit, elle hésite, elle consulte le seul ami dont le dévouement lui soit assuré, son ambassade;ir Oronte, dont la diplomatie mesquine fait mieux ressortir encore l'élévation de ses sentiments. Enfin, la voilà seule; aussicôt toutes les petitesses s'évanouissent, et l'on se sent en face d'un caractère, qui se révèle ou plutôt se ressaisit. D'un regard viril elle embrasse le présetit ; elle ose se souvenir du passé. Comment les souffrances de cepassé, comment les humiliations et les dangers de ce présent n'éclaireraient-ils pas à ses yeux l'avenir? Elle rompt son « esclavage » ; elle donne un libre cours à des sentiments trop longtemps a étouffés * ». elle s'écrie :

J'ose reprendre an coeur pour aimer et haïr.

Ce n'est plus la « victime d'État », craintive et résignée; c'est la reine asiatique, assez pénétrante pour deviner Cléopàtre, assez redoutable pour que Cléopàtre lui fasse l'honneur de la haïr : car le portrait de Rodogune, comme celui de Cléopàtre, ne serait pas achevé, si on ne lui donnait pour cadre une des cours féroces ec raffinées de l'Asie. Ainsi, la transformation qui s'opère dans le caractère de Rodogune est inévitable, et les trois premières scènes de l'acte lil sont destinées à la préparer,

1. f A mciiL^cct] reii'liis, * dit-elle dang la se. iv de l'acte III.

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