Page:Corneille Théâtre Hémon tome3.djvu/63

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INTRODUCTION 41

vons être de l'avis de M. Saint-Marc Girardin, qui, tout en préférant la Cléopâtre de Corneille à celle de Shakspeare, simple amoureuse de comédie, la croit très différente de la Cléopàlre historique : « L'histoire, écrit-il S lui est plus favorable que la poésie. Il y a dans Cléopâtre trois choses a remarquer : une âme forte dans une vie efféminée, une pas- sion vraie dans des mœurs licencieuses, une grande pensée politique poursuivie à travers les plaisirs et les fêtes. C est une de ces natures fortes et souples, qui aiment le plaisir et la mollesse sans se laisser amollir. La civilisation orientale produit souvent ces contrastes. Ce n'est pas ainsi que Cor- neille l'a voulu représenter. Il lui a ôlé tout ce qui en fait une personne presque héroïque dans Plutarque : sa mort coura- geuse, son amour fidèle, ses grands projets; il ne lui a laisse quela coquetterie. » Si unechoseestévidente,au contraire, c est que la coquetterie de la femme est moins en rehef que 1 or- gueil de la reine ; c'est que Corneille, fidèle à son procédé habituel d'abstraction, obéissant d'ailleurs à la force des cho- ses qui veut que le drame soit moins complexe que l'histoire, a retenu pourtant parmi les traits que l'histoire lui donnait un seul trait saillant, l'ambition. 11 nous en prévient lui-même : « Je ne la fais amoureuse que par ambition 2. » La plupart des traits, si curieux et si séduisants, dont se compose, chez les écrivains anciens la physionomie de la « meretnx regina ^ », il les a éliminés, pour laisser en pleine lumière la femme qui rêva de ressusciter l'empire d'Alexandre. ^

Non, Cléopâtre n'est pas une coquet' e frivole : bien qu elle parle, elle aussi, le jargon de la galanterie contemporaine, elle le parle moins que César ; tandis que César est tout à sa « tlamme », elle est toute à sa pensée ambitieuse. Chose curieuse ! dans ce duo, c'est elle qui fait entendre la note virile. C'est elle aussi qui semble le vrai roi d'Egypte, en face du tremblant Ptolomée, elle qui brave ses « insolents ministres », qui impose silence à Photin, et voudrait sauver Pompée : car, ainsi que Saint-Evremond l'a remarqué, elle serait indigne de César si elle ne s'opposait à la lâcheté de son frère ^ Pour rendre justice à la grandeur réelle de ce rôle, il n'est pas besoin d'y voir, avec M. Levallois, une intention secrète, ni de croire que les « lâches politiques ^ » ffétris par Cléopâtre sont les Chavigny et les Des Noyers,

1. Cours de littérature dramatique, IV, 65.

2. Examen de Pompée.

3. Properce, III, 11, et Pline l'Ancien, IX, 58.

4. Dissertation sur V Alexandre de Racine

5. Acte IV, se. II.

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