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120 ÉTUDE

Tout ce qu'il nous importe d'établir ici, c'est que Don Sanche, en particulier, est un brillant démenti à la théorie de sa Préface. Appli- quée à cette <( comédie héroïque», la première partie de la Préface peut se résumer en quelques mots: les exploits de l'aventurier Car- lo? sont dignes d'un prince, et ne nous en sembleraient pas moins dignes alors même qu'il ne serait pas prince, en effet. Rien de plus certain : il n'y a pas an héroïsme noble et un héroïsme roturier; mais rien aussi de moins clairement démontré par le drame. Non seulement la naissance royale du prétendu Carlos est reconnueau dénouement, mais tout est combiné de façon à faire prévoir et désirer cette découverte. Les femmes qui l'aiment, les rivaux qui lui portent envie, le peuple qui l'acclame, tous sont d'accord sur ce point : il est trop généreux de cœur pour ne l'être pas de race. En vain il proteste: on ne l'en croit pas lui-même. Et lui-même, d'ailleurs, se sent roi, lui-même parle en roi. S'il n'était pas. au cinquième acte, salué roi d'Aragon par don Raimond de Moncade, le drame aboutirait à une immense déception, ou plutôt n'aurait plus de sens. Ainsi, loin d'être une conclusion indifférente, cette reconnaissance inévitable donne le mot d'une énigme dont la plu- part des personnages et des spectateurs avaient déjà percé le mys- tère assez transparent. Carlos ne peut pas ne pas être don Sanche; on ne le permettrait point, car on le sent prédestiné. On le voit, ce n'est point parce qu'il est héros qu'il mérite d'être prince; c'est parce qu'il est prince qu'on s'explique qu'il soit un héros.

La lettre à M. deZuylichem reste donc comme un essai curieux et hardi de théorie du drame, mais d'un drame dont Corneille ne nous a pas donné l'exemple. Cependant une partie de cette Préface se rapporte plus directement à la « comédie héroïque» , et nous perdons ici de vue le drame bourgeois pour nous rapprocher du drame tel que les poètes du xix" siècle l'ont conçu.

On est surpris de ne pas voir Don Sanche cité et loué à côté de Nicomède, dans la fameuse Préface de Cromwell. Victor Hugo y op- pose pourtant «la tragi-comédie hautaine, démesurée, espagnole et sublime » de Corneille à la tragédie amoureuse, idéale et divi- nement élégiaque de Racine. 11 regrette que les censeurs pédantes- ques du Cid aient rejeté le poète du côté de la tragédie purement classique, sans s'apercevoir ensuite que Corneille n'a fait que tra- verser la tragédie classique, pour revenir ensuite à la tragi-comé- die, qu'il n'avait pas abandonnée sans esprit de retour. On oublie trop que Don Sanche n'est pas un accident exceptionnel dans son

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