Page:Corneille Théâtre Hémon tome4.djvu/158

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

146 NlCOMÊDË

mal interprétées sans doute dans son Examen et dans son Biscours de la tragédie. Il n'a pas compris que la crainte (ce mot est plus juste que le mot de terreur) est inséparable de la pilié: car la crainte nait p jur soi de ce qui inspire la pilié pour les autres; la pitié navt pour les autres de ce qui inspire la crainte pour soi '. Or il y a deux sortes de personnages qu'Aristote exclut de la scène parce- qu'ils ne peuvent éveiller la pitié ni la crainte : les personnages parfaits et irréprocha- bles, tels que INicomède ; les monstres affreux, tels que Pru- sias, Phocas, Ciéopàtre. Pour Prusias, au moins, Lessing se trompe étrangement; ainsi que l'observe Corneille lui-même, Prusias « n'a que des faiblesses qui ne vont point jusques au crime - ». La théorie est-elle plus juste en ce qui concerne Nicomède? Il semble, au premier abord, que tout le drame soit dans le seul caractère de ÎSicomède, et que ce caractère se soutienne par la seule admiration qu'il nous inspire.

Sur ce point, il y a un accord singulier des témoignages, sans parler de celui du poète, si explicite '^. Un des premiers, Boileau, ami dévoué de Racine, avait senti cette originalité du théâtre cornélien : « Corneille, disait-il '*, a inventé une nouvelle sorte de tragédie dont le fond est l'admiration. » Répondant à Voltaire et prouvant contre lui que Nicomède n'est point « dans le goût » du romanesque don Sanche, Palis- sot ajoutait : « Quel autre que Corneille eût osé concevoir le projet d'une tragédie qui ne serait soutenue par aucune de ces passions sans lesquelles on aurait cru que la tragédie ne pou- vait exister? Lui-même reconnail qu'elles n'ont aucune part dans cette pièce ; et véritablement il l'a fondée tout entière sur le sentiment d'admiration que doit inspirer un grand homme qui n'oppose à tous les malheurs dont il est menacé qu'un courage inébranlable et une fierté qui ne se dément jamais. » — « Corneille, écrit M. Cousin °, est le fondateur d'un pathé- tique nouveau, inconnu à l'antiquité et à tous les modernes avant lui : il dédaigne de parler à toutes les passions natu- relles et subalternes; il ne cherche pas à exciter la terreur et la pitié, comme le demande Aristote, qui se borne à ériger en maximes la pratique des Grecs. Il semble que Corneille

��voyons opprimés et près de périr, sans aucuno faute de leur part dont nous puis- sions nous corriger sur leur exemple. »

1. Voyez JI. Crouslé, Lessinf/ et le goût français en Allemagne et la Dramalur- gie de Hambourg.

2. Discours de la tragédie.

3. Vovez l'Examen.

4. Lettre à PeiTault, 1700.

5. Dn vrai, du beau et du bien, ch. x.

�� �