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204 NICOMEDE

Lorsqu'à celte nouvelle, enflammé de courroux

D avoir perdu mon maître, et de craindre pour vous, 30

J'ai laissé mon armée aux mains de Théagène,

Pour voler en ces lieux au secours de ma reine.

Vous en aviez besoin, Madame, et je le voi,

Puisque Flaminius obsède encor le Roi.

Si de son arrivée Annibal fut la cause, 33

Lui mort, ce long séjour prétend quelque autre chose,

Et je ne vois que vous qui le puisse arrêter,

Pour aider à mon frère à vous persécuter.

mède, lorsqu'il régnait, après la mort de Prusias. Le poète ne s'est pas rigoureu- sement assujetti à l'ordre chronologique et à la vérité de l'histoire. » (Naudet.) 31. Ce Théagène est de la même famille que les Achate, les Cloanthe, les Alethes, et tous ces personnages abstraits de l'épopée virgilienne, qui n'ont garde de vivre ni d'avoir une physionomie distincte, sachant trop qu'ils jouent le rôle d' « utilités » poétiques. Celui-ci fournit, du moins, une rime, et, satisfait d'avoir pendu ce service au poète, rentre discrètement dans l'ombre, pour n'en plus sortir.

33. Je voi pour_;e vois. Non seulement ce n'est pas une licence poétique, mais cette forme se rapproche beaucoup plus de l'étymologie latine. Vs finale n'exis- tait, au début, qu'à la seconde personne ; c'est par analogie que, peu à peu, l'u- sage l'a appliquée à la première. C'est là une véritable anomalie : vid(>s prenait bien une s ; mais video n'en prenait pas et n'en devait pas prendre. Rotrou, dont la langue est un peu plus vieille que celle de Corneille, fait rimer avec moi, soi, roi, loi, etc., les présents do>, prévoi, reçoi, aperçai, croî'/etavec lui, ennui, suivi, rien, hardi, ce qui est plus rare, je sui, je vi, je vien, je redi.

34. Obséder, ce n'est pas seulement importuner. Ce verbe, dont l'énergie s'est légèrement affaiblie, signifie proprement : être assidu auprès, ne jamais quitter les côtés de quelqu'un, faire. ])our ainsi dire, le siège d'une personne, obsidcre, "jTposîôpe'Jciv, 7:poaxa6i^£56aL.

36. Prétendre, pris activement et même absolument pour avoir des préten- tions, n'est pas rare au xvii" siècle : « Tu prétends un peu trop, » dit Efmilie à Maxime. (Cinna, 1352.) Mais il est plus rare de le voir employé, comme ici, avec lin nom de chose, dans le sens de avoir pour objet.

37. Je ne vois que vous gui le puisse. Cette tournure semblait si naturelle à Corneille qu'il ne songea même pas à la corriger dans les éditions suivantes et qu'on ne songea pas à la lui reprocher. Racine dira de même :

Je ne vois plus qne vous qoi la puisse défendre. {Iphigénie, HI, 5.) i< La grammaire condamne aveuglément cette syntaxe. Toutefois n'est-il pas permis, sinon de la soutenir comme légitime, au moins de l'excuser par un se- cret rapport? S'il y avait eu une idée et une forme affirmatives : c'est vous qui pouvez le retenir, le verbe de la proposition subordonnée serait de toute néces- sité régi par le sujet de la proposition dominante ; mais l'incertitude de l'énoncé du jugement sur la cause qui peut arrêter, rend l'attribution du mot qui moins déterminée, comme s'il y avait : Je ne vois de cause qui le puisse arrêter, que vous... » fNaudet)

35. Aider à quelqu'un à faire quelque chose n'était point alors une expression populaire, quoi qu'en dise Voltaire. M. Littré en cite de nombreux exemples empruntés aux meilleurs prosateurs. Corneille l'employait volontiers :

N'aide point à l'envie d se jouer de moi. (Don Sanche, 13*1.)

Andrieux n'en a pas moins cru devoir corriger ainsi ce passage :

Je ne vois qn'na motif qui le puisse arrêter. Et c'est aider mon frère à vous persécuter.

Nous préférons « l'expression populaire » de Corneille

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