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SUR ŒDIPE 347

On peut se demander si le sujet à' Œdipe valait beaucoup mieux. Sophocle y avait laissé sa marque, qu'on n'efface pas. Mais on comprenait mal Sophocle au temps de Corneille, et plus tard en- core Voltaire ne trouvera pas assez d'épigrammes méprisantes pour en accabler l'auteur de VŒdipe roi : « Cette grossièreté, dira-t-il, n'est plus regardée aujourd'hui comme une noble simpli- cité... 11 ne savait même pas préparer les événements, ni cacher sous le voile le plus mince la catastrophe de ses pièces. » 11 viole « les règles du sens commun », et Voltaire a reconnu « qu'on peut eans péril louer tant qu'on veut les poètes grecs, mais qu'il est dangereux de les imiter ». Ce n'est point la faute des Athéniens: « Ils ne pouvaient avoir une juste idée de la perfection d'un art qui était encore dans son enfance. » Ah! s'ils étaient nés « dans un siècle plus éclairé » ! ils auraient perfectionné « un art qu'ils ont presque inventé i ». Ainsi, cette grandeur sinistre de la fatalité, le protagoniste du drame grec, on la méconnaissait ; on ne pénétrait point le sens profond d'une tragédie où l'aveuglement de l'homme est confondu, où le chœur traduit la pensée du poète en ce mot si mélancolique : « races mortelles, que votre vie ressemble au néant - ! » On ne sentait point l'émouvante vérité de ce caractère d'OEdipe, naguère si orgueilleux, frappé tout à coup dans son or- gueil, dans sa puissance, dans sa famille, devenu en quelques ins- tants le plus humble et le plus misérable des Thébains.

Cet OEdipe si humain chez Sophocle est devenu chez Séncque un pur déclamateur 3, et c'est de la déclamation fort peu dramatique de Séuèque que Corneille se souvient le plus. 11 avoue qu'il a cm aisé d'abord de plaire au public et en particulier aux savants en suivant les traces de Sophocle et de Sénèque (car il ne semble connaître ni VŒdipe de Jean Prévost, tragédie avec chœurs, 1603 '*, ni celui de Nicolas de Sainte-Marthe, 1614). Mais il a craint que le sujet ne parût trop horrible aux modernes, et qu'OEdipe se cre- vant les yeux ne révoltât « la délicatesse de nos dames, dont le

��1. Lettres àM. de Genonville, conti^n^nt k rritique de VŒdipe de Sophocle, de celui de Corneille et de celui de l'iiuteui' 1 1719).

2. Vovoz les Tragiques grecs Ae M. F'atin, et \' Histoire de la littérature grerqw d'Otfried Muller, t. II.

3. Œdipus. — Sur les tragédies de Sénèque, voir les Études surles poèteslatins de la décadence, de M. Nisard.

4. M. de Jloahy dit de cette pièce qu'elle n'est point du tout mal faite pour le temps; elle ne fut imprimée qu'en 1614, in-12.

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